José et moi quittons la Croatie après l’avoir traversée du Nord au Sud, et entrons en Bosnie-Herzégovine.
Nous grimpons en direction de Mostar en empruntant la route de Trebinje. En parfaits voyageurs aguerris, forts de nos expériences respectives de tour du monde, nous accordons naturellement confiance à notre GPS. À quoi bon lire une carte alors que Pupuce – notre voix off – le fait pour nous, gratuitement, et sans broncher? Fatigués et relativement feignants après plusieurs milliers de kilomètres parcourus, nous suivons donc l’itinéraire préconisé, conduisant à Ljubinje. Après quelques kilomètres d’asphalte relativement en bon état, c’est sur une route caillouteuse que nous circulons désormais. Comme il ne nous reste plus que dix-huit kilomètres à parcourir avant la prochaine ville, nous nous enfonçons dans les bois, sûrs de nous. Le van gigote dans tous les sens, crapahute entre les roches et nos sourires perdent peu à peu de leur vigueur, jusqu’à ce que nous dérapions franchement dans une descente, et comprenions alors que, quoi qu’il en soit, nous serions désormais incapables de faire demi-tour. Connasse de GPS. Bons joueurs, nous poursuivons sur notre lancée, cahin-caha. Nous atteignons une ferme, et le propriétaire des lieux, surpris de recevoir de la visite, sort nous saluer. « Mais qu’est-ce qu’il fout là, lui? » Me demande alors José. « Euh, c’est pas plutôt qu’est-ce qu’on fout là, NOUS??? »
Nous mettons une éternité à surmonter les kilomètres, l’un après l’autre. Il est trop tard pour faire demi-tour, notre traversée du Sud de la Bosnie est laborieuse, et notre bêtise me vexe. Nous rencontrons un 4×4 et avons du mal à nous croiser, le chemin étant trop étroit. L’homme nous demande alors si nous sommes perdus. « Perdus??? Nous??? Non, non… On le savait hein!!! » Grandes gueules et petits joueurs, nous regardons l’homme se garer adroitement, et passons notre chemin, honteux et surtout anxieux. Cette épreuve nous prend finalement plusieurs heures, et c’est soulagés que nous gagnons la ligne d’arrivée de ces dix-huit ridicules kilomètres : Ljubinje. Nous avons compris la leçon : en Bosnie, il nous faudra rester sur les routes oranges stipulées sur notre carte.
Il est rare, en voyage, de vivre des jours conformes aux idées que l’on s’était forgées avant les grands départs. D’habitude, voyager c’est faire voir du pays à sa déception.
Sylvain Tesson, S'abandonner à vivre
La belle Mosta, perle des Balkans, nous attend et adoucit notre fin de journée. Classé au patrimoine mondial de l’UNESCO, le quartier du vieux pont n’a pas volé son titre. Nous tombons immédiatement sous le charme, et flânons au gré des ruelles, le long de la Neretva charriant son eau d’un turquoise parfait. Comme souvent en Ex-Yougoslavie, l’Histoire se lit sur les façades des bâtisses, et le présent ne se détache jamais vraiment des atrocités qui ont eu lieu il n’y a pas si longtemps. Les habitants cohabitent avec leurs cicatrices, tandis que les voyageurs tentent d’imaginer l’inimaginable. Pensifs, nous laissons Mostar derrière nous. Routes oranges, suivre les routes oranges…
Sarajevo. De retour : j‘étais venue il y a quelques années, lors de mon premier voyage en solitaire (un grand tour des Balkans). C’est donc avec émotion, et après tout ce chemin parcouru entre temps, que je foule à nouveau le sol sarajévien. Il fait nuit lorsque José et moi arrivons sur place, et nous entrons par hasard nous réchauffer, là où la musique nous mène. Un groupe traditionnel irlandais réjouit nos oreilles, et tant pis pour le folklore bosniaque, ça sera pour une prochaine fois!
Le lendemain, José se lève tard et, patientant sous la pluie, je finis par aller boire un café dans le bar d’une auberge de jeunesse voisine. De fil en aiguille, les maîtres des lieux m’accordent le privilège de prendre une bonne douche, chaude qui plus est, que j’apprécie plus qu’à sa juste valeur. Quelques heures plus tard, José et moi sommes en ville. Le temps maussade nous ferait presque regretter le soleil de la côte croate. Entre deux gouttes, nous errons tout de même quelques instants dans les ruelles sombres de la vieille ville, qui n’a pas changée depuis mon dernier passage. Sarajevo dégage toujours le même contraste, les mêmes souvenirs gravés dans les murs, mêlés à une vie qui redémarre et se reconstruit peu à peu.
Nous nous rendons ensuite sur les lieux des Jeux Olympiques de 1984, plus précisément autour de la piste de bobsleigh, située sur la montagne Trebević, et abandonnée depuis les jeux. Nous y découvrons un collier de béton, envahi par la mousse et par la végétation reprenant ses droits.
Durant le siège de Sarajevo (1992 – 1996, il a duré quarante-quatre mois au total), cette station Olympique, qui à l’origine symbolisait la paix et l’amitié entre les peuples, a servit de base arrière aux groupes armés pilonnant la ville de leurs mortiers, laissant Sarajevo prisonnière, encerclée au fond de sa cuvette. Marqué par son fort passé historique, et fidèle aux contrastes dont recèle la capitale bosniaque, le lieu est aujourd’hui encore chargé d’émotion : une session URBEX qui nous aura passionnés.
Nous sommes attendus en Grèce prochainement. Mes amies de Patras et de Kalamata ayant des contraintes de temps, nous décidons d’accélérer le pas afin de pouvoir partager un moment avec chacune. Quittant la Jérusalem d’Europe, nous nous enfonçons dans des ruelles qui rapetissent aussi vite que notre altitude grimpe. Sous cette pluie battante et sur ces pavés glissants, presque savonneux, nous patinons comme jamais. Un gamin pas plus âgé que les doigts d’une main – et dépassant à peine de derrière son volant – nous fait alors une démonstration de conduite qui nous laisse sans voix. Sur les conseils de l’adulte avisé et responsable l’accompagnant, il manœuvre parfaitement son véhicule et se targue même de faire une marche arrière dans un virage acéré, le tout en démarrage en côte. Le petit, nous donne une belle leçon… Un gosse qui, à défaut d’avoir le permis, a déjà un avenir tout tracé devant lui dans la conduite acrobatique. Quelques minutes plus tard, c’est un autre jeune homme qui tente de nous dépasser, patinant lui aussi de tout son long, à quelques centimètres de ma portière. Il va et vient, pied au plancher, glissant de droite à gauche sans avancer d’un centimètre. J’hésite entre rire face à l’incongruité de la scène, et m’affoler devant tant d’imprudence. Enfin, après avoir constaté que quelle que soit la rue choisie, nous ne passerons pas, nous décidons de faire demi-tour, et empruntons un autre chemin.
Nous voici repartis. Nous grimpons assez vite sur les hauteurs de la ville, puis sur celles du pays, séparant Sarajevo du grand Sud bosniaque. La pluie a laissé place à la neige, pour le plaisir des yeux, mais surtout pour de nouvelles palpitations cardiaques. Le van devient très vite incontrôlable, et je m’arrange pour coincer adroitement les deux roues droites du véhicule dans un bloc de neige signalant le bas-côté. Après avoir tout tenté pour me dépêtrer de la situation, j’offre poliment à José de me relayer au volant. « Tiens José, j’ai bien encastré le van au bord de la route, tu peux prendre le relais maintenant steuplait? » José, ancien livreur, a promené son camion réfrigéré plusieurs années dans le centre de Paris. Autant vous dire qu’il maîtrise la conduite à la perfection. Si je n’avais pas tant d’ego, je confesserais même qu’il s’en sort mieux que moi avec le van, mais ne le répétez pas trop fort, il risquerait de vous entendre. Bref, par je ne sais quel miracle il retire le véhicule du pétrin où je l’avais laissé, et comprenant que nous ne franchirons pas le col sous cette neige, nous redescendons jusqu’au précédent village, Trnovo, où nous passons fraîchement la nuit. Je ressors donc mon pyjama made in Pôle Nord.
La route est bien meilleure au petit matin et nous ne regrettons pas d’avoir patienté quelques heures. Dans les environs de Foča, nous récupérons deux personnes faisant de l’auto-stop sur le bas-côté. Une mère et son fils, qui après quelques hésitations, sont finalement ravis de voyager tout confort… dans notre lit. Voyager en van, c’est entre autres transporter des inconnus dans son lit, hé oui, drôle de situation! En leur compagnie, nous gagnons la ville la plus méridionale de Bosnie, et pour fêter ça nous mangeons au restaurant, où pour 1€ nous dégustons chacun une plâtrée de graisse, entre deux morceaux de pain. Les bosniaques ne font pas dans la finesse, il faut dire que le nom de l’enseigne aurait dû nous alerter : Pipi.
Pour finir en beauté, nous nous perdons en quittant la ville. Nous empruntons un chemin conseillé par deux policiers, et nous mêlons à d’autres voitures, semblant se rendre dans la même direction. Après dix minutes de route, nous découvrons qu’il s’agit d’un cul-de-sac, menant tout droit… au cimetière. Nous sommes alors coincés dans un cortège funéraire, et tous les yeux sont rivés sur nous, à notre grand désarroi. Impossible de faire demi-tour, quatre hommes transportent le cercueil le long de la seule issue possible. Nous patientons donc, penauds, embarrassés et désolés, le temps que cette triste scène prenne fin. Mettre les pieds dans le plat : fait. C’est ainsi que nous vivons nos derniers instants dans ce pays qui n’aura pas manqué de nous surprendre, du premier au dernier jour. Maintenant, nous partons visiter l’Albanie et le Monténégro! Comme nous nous le répétons inlassablement avec José, c’est tout de même un magnifique voyage…
Enfin, je vous invite à retrouver mes autres récits de voyage, mes conseils pour choisir un van aménagé, ainsi que des réflexions plus personnelles liées à ma vie nomade!
Vanvan en a vu de toutes les couleurs …
mais entre des mains expertes il s’en ai bien tiré
peut-il, lui aussi, nous faire part de ses émotions ?
ce serait sans doute un régal …
Oui, enfin heureusement que José se débrouille comme un as! 🙂 Bises