Panier

Je pourrais vous conter la liste des pays traversés, et me perdre en comptant les kilomètres arpentés. Je pourrais dresser fièrement un bilan chiffré, ou rédiger des listes à puces détaillant mes tops 10. Je pourrais comparer ces expériences passées, vous démontrant de façon synthétique que vivre sur la route est plus facile , que le voyageur mange mieux , dépense moins , et croise moins de touristes .

Ces données statistiques, je les ai notées au fil de mon tour du monde, me disant qu’après un an de voyage je serai heureuse d’y jeter un œil. C’est chose faite : elles sont d’un ennui mortel. Non, je préfère reprendre le fil de cette aventure dans un désordre insolent, qui me rappelle de façon nostalgique que cette vie aléatoire me manquerait si je m’arrêtais là.

J’étais partie bien organisée et plus que préparée à vivre sur la route. J’avais rempli des tonnes de papiers administratifs, souscrit des assurances, et demandé des visas. J’avais dessiné mon itinéraire de rêve des centaines de fois, jusqu’à tracer le chemin parfait, celui qui me mènerait au bout du monde en parcourant tous ces lieux mythiques, dont les noms suffisaient à bercer mes nuits. J’avais contacté les amis d’amis, les cousins éloignés, et les couchsurfers les plus engagés se trouvant sur ma route. J’avais prévu.

vivre sur la route

Virée dans les fjords norvégiens

J’avais pléthore de préjugés et d’idées pré-conçues, enfouis secrètement tout au fond de mon être. Des stéréotypes comme : l’auto-stop c’est dangereux pour ne citer que lui. Lorsque je planifiais de me rendre à tel ou tel endroit, c’était toujours à la recherche de confirmation d’un cliché, que je m’empressais de vouloir valider.

Outre ces réflexes de pensée réducteurs, je croulais sous ces peurs, ces mêmes angoisses qui renferment aujourd’hui nos sociétés sur elles-mêmes, qui nous isolent, et qui nous font peu à peu oublier que sans l’autre nous ne sommes rien. Alors, je faisais attention. Être vigilante était le fil conducteur de mes journées.

Loin de m’apercevoir que je me nourrissais jusqu’alors de journaux télévisés, que l’on me gavait d’intox, et que je subissais une pleine overdose de propagande sécuritaire, je me gargarisais de bien m’en tirer. Avec suffisance et une belle pointe de naïveté, et tout en racontant à qui voulait que je voyageais pour rencontrer l’autre, j’occultais totalement le fait que ce même inconnu m’effrayait.

vivre sur la route

Rencontre avec la minorité Miao, en Chine

Ce voyage initiatique était fade. Cette joyeuse escapade autour du monde masquait au contraire une errance sans but, et renfermée sur moi-même les journées me semblaient bien longues. Comme certains tentent pour la première fois de sauter en parachute, de nager avec des requins, ou de traverser un océan en solitaire, j’ai enfin décidé de vivre mon aventure. Il ne s’agissait en rien de faire le tour du monde, il était en réalité question de faire confiance. Mon maître-mot devenait alors : tentons, et on verra bien…

Quelle bouffée d’oxygène. Quelle renaissance. Quelles rencontres. Quel luxe que de s’abandonner à vivre sur la route en y plaçant ne serait-ce qu’un peu d’espoir et d’optimisme. Le genre d’adrénaline à laquelle on prend vite goût. Finis les papiers, les tracés d’itinéraires prévisionnels, les recherches Google et les préparatifs de dernière minute. Tentons, et on verra bien.

À partir de cet instant, c’est toute une vie qui bascule. Sous l’emprise de cette excitation, constante et euphorisante, mon envie de partir loin prend alors tout son sens et je comprends que peu importe où je vais, seul le chemin et ses rencontres comptent. Je découvre en même temps que ma bonne étoile ne me quitte jamais, et qu’en voyage comme ailleurs, nous trouvons sur notre route ce que nous y cherchons.

vivre sur la route

Visite des pagodes de Mandalay au Myanmar / Crédits @St Marc The Wanderer

Je me remets alors à lever le pouce sur ces autoroutes du monde, tantôt neuves et dessinant de grandes lignes droites à en perdre toute notion de distance, tantôt vieillissantes et abritant toutes sortes de véhicules surprenants. Plus je crois en l’autre, plus le monde prend soin de moi. Mes rencontres furtives sont tellement étonnées de mes récits d’espoir, qu’elles se mettent à leur tour à me prendre sous leur aile, devenant elles-aussi un souvenir précieux, que je conterai un jour, ailleurs.

Une année passée à vivre sur la route ne se résume pas à des chiffres, mais bien à un long cheminement, autour du monde mais surtout de façon plus intime, plus intérieure. En 2014, j’ai découvert la confiance, j’ai savouré la liberté, et j’ai réappris l’essence-même du voyage : la rencontre. Désormais, je voyage lentement, pour pouvoir me perdre dans les faubourgs de Tana, comme pour partager la vie d’une musher durant quelques semaines. Désormais, je saisis les opportunités qui s’offrent à moi, pour suivre Manaf dans les rues de Kuantan, comme pour sauter dans la première voiture me conduisant je ne sais où. Désormais, mon sac est presque vide, pour voyager léger et rouler à moto avec ces jeunes de Da Nang, comme pour grimper au sommet enneigé du Fitz Roy. Désormais, je voyage sans argent ou presque, pour mieux appréhender l’univers qui m’entoure, comme pour refaire le monde dans un squat italien.

vivre sur la route

Trek autour du Fitz Roy, en Patagonie Argentine

À l’heure où nous prenons tous de bonnes résolutions, garantissant logiquement que 2015 sera meilleur que 2014, je ne peux que souhaiter de vivre sur la route encore longtemps, plus lentement mais toujours plus intensément, avec moins de superflu et de barrières morales emprisonnant cette liberté.

Être heureux me prenait tout mon temps. D’ailleurs, nous ne sommes pas juges du temps perdu.

Nicolas Bouvier, L'usage du monde

Et pour poursuivre l’aventure un peu plus loin, n’hésitez pas à retrouver tous mes articles sur la philosophie de la vie nomade, notamment un texte sur comment vivre autrement, ainsi que l’intégralité de mes récits de voyage

Join the discussion 16 Comments

  • Chincholle dit :

    Magnifique blog qui respire le courage , l authenticité et la sagesse.Bravo ! Je m apprête de mon côté à démissionner et enfin tracer la route sans programme avec mon fourgon.En revanche j ai un dilemme à résoudre avant : je viens d hériter d un petit corps de ferme familial.En l état ce n’ est pas habitable.Avant de partir nomadiser à travers le monde je m interroge sur que faire de ce corps de ferme: le laisser en l état et voir au retour ? Le rénover avant de partir ( 4 mois de travaux ) et mettre en location ( autofinancement) ou vendre ? Ça me prend la tête. Avec toute ton expérience de voyage que me conseillerais tu ? Merci . Richard

    • Salut Richard et merci pour ton message et tes mots qui me font plaisir à lire ! Super ton projet, je suis certaine que tu vas vivre là une très belle aventure… Par rapport à ta question, je ne sais pas trop quoi dire par contre, tu es le seul qui peut savoir ce qui est le mieux et je te conseille seulement de suivre ton feeling 🙂 Je te souhaite tout ce qu’il y a de meilleur, et te dis peut-être à bientôt sur la route, car le monde est petit !

  • Manuel dit :

    Salut à toi ! Je ne sais pas où tu en es actuellement dans ton voyage mais tes écris m’ont beaucoup marqués. J’ai 21 ans et je pense depuis quelque temps qu’un voyage physique et spirituel s’impose pour moi. J’en suis au point où je ne vois pas d’autres solution a mon épanouissement, la vie boulot dodo ne correspond tellement pas a mon état d’esprit et mes convictions. J’envisage tout d’abord de commencer en France, et ensuite le monde me guidera. Seulement cet envie me rongeait avant mais je ne pouvez pas franchir le cap comme ci un démon ou quelque chose me bloquais a chaque fois. Tes écris plein d’espoir, de sincérité et de bienveillance m’ont permis de franchir un cap mentalement et pour ça, je t’en remercie. Continue de diffuser la paix et la sérénité autour de toi et que le monde veille sur toi <3

    • Coucou Manuel, et merci pour tes mots qui me touchent énormément ! Je te souhaite de trouver ta voie, qu’elle te mène en France ou de l’autre côté de la planète, et de t’épanouir au contact du monde qui t’entoure. Prends bien soin de toi, et au plaisir de te croiser un jour au détour d’une route !

      Voyageusement,
      Astrid

  • Flowerpower dit :

    Ton article est magnifique mais il m’est « douloureux » : alors, je reste ou je repars ??? j’ai arrêté car je me suis sentie dans l’errance … j’ai décidé de voyager « autrement » que comme j’avais commencé, mais je ne sais pas trop à quoi correspond cet autrement … besoin aussi d’engagement social, après 20 mois de « solitude » … il est de plus en plus clair pour moi que « nomadiser » est un processus, et qu’on ne peut trouver les réponses du jour au lendemain, ou du moins, que ces réponses ne peuvent être pérennes …

    • Les questions que tu poses ici, je me les suis posées. D’ailleurs, je continue à me questionner sur le sens de ce nomadisme constant… Et je te comprends! C’est pourquoi j’ai décidé de poser mes valises quelques temps et de vivre ma première expérience en tant qu’expat. Un « autrement » plus lent, qui me correspond mieux aujourd’hui, et qui j’espère répondra à mes aspirations!

      Alors du coup, toi, tu restes, ou tu repars…? 🙂

  • Sophie dit :

    Ah ah, cette façon de voyager me fait rêver!! Mais je vais quand même préparer mon itinéraire, faire mes papiers… pour me rassurer dans ce 1er voyage seule qui est déjà un grand saut pour moi. Et je verrai ce que j’en ferrai dans quelques mois! J’aime beaucoup tes articles.

  • Nathalie dit :

    Bravo pour ce bilan excellent, tant par la forme que le fond. Effectivement, on construit la réalité qui nous entoure par son regard, ses attitudes, ses choix… On est malheureusement formatés par le principe de précaution à outrance… Difficile de s’en extraire! Tu viens rappeler qu’il y a mille manières de voyager. La tienne ne me conviendrait pas mais je la respecte et l’admire même! À chacun de trouver sa manière de voyager, en fonction de ce qu’on est, de son ressenti. On évolue avec les expériences et l’âge… Bonne route!

  • Papi dit :

    que de vérités !
    c’est tout l’art d’annihiler les préjugés pour vivre pleinement son aventure
    bravo ma grande

  • Laurence dit :

    Quel bel article et je me rends compte qu’il me reste encore du chemin à parcourir pour atteindre un peu de cette sagesse… Prendre le temps… Ah que j’aimerais pouvoir prendre le temps… Merci d’apporter cette fraîcheur et cette ouverture….

  • Bastien dit :

    Comme je suis d’accord ! La confiance nous apporte beaucoup plus de choses que la méfiance. J’essaye au maximum de voyager de cette façon aussi.
    Bel article 🙂

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