Je voyage depuis une douzaine d’années, et je suis devenue nomade à temps plein depuis 2013. Confrontée quotidiennement au phénomène de la mendicité, j’ai décidé de débattre avec d’autres voyageurs expérimentés sur le sujet suivant : comment réagir face à la mendicité?
Ancienne travailleuse sociale, j’ai effectué mon mémoire de fin d’études sur les solutions à apporter aux enfants des rues, dans les pays en développement. Ayant été par la suite bénévole pour le SAMU social, puis ayant réalisé de nombreux projets de solidarité internationale à l’étranger, les enjeux liés à l’aide humanitaire m’ont toujours posé question.
Mon blog étant consacré essentiellement à mon tour du monde, j’ai fait le choix de n’évoquer que les situations vécues à l’étranger, bien que le parallèle avec la France pourrait facilement être envisagé. Voici donc une longue réflexion au sujet de la mendicité, accompagné de témoignages de différents blogueurs qui apportent leur éclairage personnel. En lisant cet article, vous ne trouverez pas de réponse précise à la question : quel comportement adopter face à la mendicité? Toutefois, vous découvrirez plusieurs pistes de réflexion qui vous amèneront à considérer des points de vue différents…
Ne pas faire de généralité et se poser les bonnes questions :
Ne pas donner ne résoudra rien, tout comme donner n’entretiendra pas (forcément) le système. Je crois que cette question du donner ou pas est un débat sans fin, avec de chaque côté du ring des partisans du pour ou du contre, qui auront chacun raison à un moment donné. Difficile de se positionner sauf à se demander pourquoi on a envie de donner à la personne qui fait la manche face à nous. On se dit que l’on donne pour aider, mais c’est avant tout pour nous que l’on donne. Pour se donner bonne conscience peut-être, ou simplement pour rendre plus supportable la vision de cette pauvreté qui nous horrifie en voyage. Il y a également la question des réseaux qui organisent la manche des enfants ou des femmes. Que faire encore ? Ne pas donner pour ne pas financer les réseaux ? Donner au risque d’encourager la violence ? Donner pour éviter les représailles sur ces femmes et ces enfants. Ou peut être privilégier le don d’objet et de nourriture au don d’argent ? Très franchement il m’est impossible de répondre à cette question, car la mendicité revêt de trop nombreuses formes à travers le monde et il serait dangereux de vouloir en faire une généralité.
Paul – Petits voyageurs
Je partage totalement le point de vue de Paul : généraliser et apporter une réponse toute faite sur cette question sensible serait malvenu, et probablement contre-productif. Les situations ne se ressemblent pas. Il y a autant de personnes qui mendient que de raisons qui les y ont poussées.
Occuper la rue, transformer cet espace en lieu de travail n’est toutefois pas anodin. En France, qui ne serait pas horrifié à la vue d’un enfant qui mendie, ou peiné face à un vieil homme qui fait la manche? Dans nos sociétés occidentales, le rapport que nous entretenons avec l’espace public diffère des conceptions que l’on retrouve à l’autre bout du monde. Dans un premier temps, il est à mon sens important de distinguer ces contradictions, afin de ne pas reporter ailleurs nos projections culturelles occidentales.
En effet, les connotations associées à la rue ne sont pas les mêmes selon les sociétés, les cultures, les caractéristiques de l’espace urbain, les pratiques et les catégories sociales. La rue peut être perçue comme un lieu de vie, un espace de socialisation, un prolongement de l’espace familial et domestique, ou à l’inverse espace dangereux, un lieu réservé aux échanges et à la production… Selon les particularités locales, les usagers de la rue ne porteront donc pas le même regard sur les personnes qui l’occupent et l’investissent : parfois, ces dernières seront considérées comme marginales, et d’autres fois comme normales. De plus, les rues elles-mêmes ne se ressemblent pas. Elles forment d’ailleurs un univers complexe et paradoxal : à la fois lieu de passage de la foule et de solitude.
La marge n’existe que par rapport à une société donnée : elle est une relation, par essence variable et contingente, avec une norme, qui ne se définit elle-même que par ce qu’une société considère comme normal (à la fois le souhaitable et le tolérable).
Stéphane Tessier, L'enfant des rues et son univers : ville, socialisation et marginalitéC’est à mon sens l’un des premiers points importants de cette réflexion : dépasser nos idées reçues, et ne pas calquer nos représentations culturelles à l’étranger.
Donner sans fausse gentillesse :
Je voyage en Asie depuis maintenant un an et demi et comme vous pouvez l’imaginer, j’ai traversé des pays très pauvres comme la Birmanie par exemple. Sur le sujet de la mendicité, mon point de vue a changé justement quand j’ai quitté ma vie d’ingénieur en Europe pour voyager à plein temps en Asie.
Très pragmatique de nature, ma vision était qu’un euro donné à un mendiant n’allait mathématiquement pas changer ni sa vie ni le monde. Mais voyager en Asie et découvrir des philosophies de vie comme l’hindouisme par exemple m’a enseigné à avoir une vision plus large et à voir le monde comme un tout.
En effet, je crois aujourd’hui qu’un geste peut changer le monde. Je sais que ça fait très démago de dire ça mais je le crois sincèrement. Et je ne parle pas ici de donner de l’argent, mais surtout de l’attention. Le plus important est de regarder ces personnes comme nos égales, ni avec pitié ni avec de la fausse gentillesse, mais avec un sincère sourire et une pièce si vous pouvez vous le permettre.
Je crois que plus on donne, plus on reçoit. Il faut néanmoins donner de façon désintéressée, sans rien attendre en retour. Je vous raconte une anecdote qui m’a beaucoup touchée. Je me baladais en vélo dans un quartier populaire de Mandalay et j’ai entendu des gens crier “tea tea”. Je pensais qu’ils voulaient me vendre du thé et j’ai cédé à leur requête vu leur enthousiasme.
C’est alors que j’ai compris qu’ils voulaient juste m’offrir un thé mais ils tenaient aussi à me faire goûter les spécialités du coin. C’étaient des gens très modestes et au moment où ils ont été en manque de sous, ils ont pris un chapeau et on fait une collecte dans tout le café pour me payer les fameux Shan Noodles. J’ai tenté de payer mais ils n’ont pas cédé. J’étais leur invité et ça ne se faisait pas.
Ça m’a donné une grosse claque et aussi une bonne leçon de vie. Je devais réagir et je suis reparti le lendemain aux premières lueurs du jour, au même café, pour laisser l’équivalent de 20 euros au gérant pour les prochaines boissons de la journée.
You get what you give, so give good.
Mehdi – Asian Wanderlust
S’il est important d’aller au-delà de nos idées pré-conçues et de nous ouvrir à d’autres modes de pensée et de fonctionnement, certains réflexes culturels sont pourtant partagés d’un bout à l’autre de la planète. Bien sûr, il existe différents types de villes, au sein desquelles les activités et leurs conditions de vie ne sont pas les mêmes (une grande ville touristique permettra par exemple à certains d’effectuer une activité commerciale comme vendre des objets, jouer de la musique dans la rue, ou tenir un stand ambulant, contrairement à une ville industrielle). Pourtant, quel que soit l’endroit, l’espace urbain revêt toujours une fonction très précise : c’est un lieu de passage pour les usagers de la rue (piétons, automobilistes…).
Ainsi, en dehors des lieux prévus à cet effet (arrêts de bus…), toute occupation prolongée de cet espace est perçu comme une transgression, et pose par conséquent certaines difficultés. Transformée en espace semi-privé, sa nature première s’en trouve modifiée, ce qui engendre de nombreux problèmes (avec les passants comme avec les autorités). Ces antagonismes devenus conflits, parfois justifiés comme dans l’exemple qui suit, sont bien souvent infondés et à l’origine d’une fracture sociale encore plus importante.
Ne pas encourager les réseaux illégaux :
Je me souviens de mon voyage au sud de l’Espagne, en Andalousie… La chaleur est accablante. Dans les endroits un peu touristiques, à Séville ou à Grenade, il y a souvent des femmes, souvent âgées, qui vous abordent en vous prenant la main.
Avec un grand sourire, une grand-mère vous charme et vous parle avec des signes, et un peu d’Anglais… « Viens, mon garçon ». Elle veut lire les lignes de votre main… Bien sûr, cette charmante grand-mère veut de l’argent en retour. Peut-être que vous ne vous attendiez pas à ça. Le visage de cette grand-mère change lorsque vous lui expliquez que vous n’avez pas d’argent! Elle vous méprise alors et vous insulte…
Ce scénario m’est arrivé comme à d’autres voyageurs… Au meilleur des cas, ça s’arrête là. Au pire, vous vous retrouvez sans montre ou sans votre portefeuille…
Et puis, on se rend compte que, la famille, des enfants attendent cette grand-mère, non loin en arrière plan… C’est tout un réseau illégal qui attend les quelques pièces gagnées par cette pauvre femme. Pourquoi impliquer des enfants dans un pays socialement développé comme l’Espagne ? Je passe maintenant mon chemin, et j’ignore, sans même un regard. C’est le meilleur moyen que j’ai trouvé pour ne pas être abordé et ne pas encourager ces trafics.
Vincent – Regard nomade
Si beaucoup de personnes en situation difficile fréquentent les quartiers touristiques et les rues des centres-villes (car ils savent qu’ils ont ainsi plus de chance de gagner un peu d’argent), il ne faut pas oublier que beaucoup d’autres se cachent ailleurs, en retrait.
En effet, le monde de la rue est un univers marginalisé, rejeté et méprisé par le reste de la société. Il existe cette misère que l’on voit, mais aussi celle qui nous échappe – ou que l’on préfère ne pas regarder. Oui, il est peut-être plus simple de fermer les yeux lorsque nous voyageons, évitant ainsi de nous retrouver face à la question cruciale : devrais-je donner un peu d’argent à cette personne qui me le demande? En France comme ailleurs, le dilemme est le même.
Faire abstraction, une solution trop facile :
Que faire face aux laissés-pour-compte de la société qui s’étalent au grand jour sur les trottoirs des villes de bien des pays que j’ai pu visiter en voyage, comme en Inde ? Lors de mon premier voyage dans ce pays, je ne donnais jamais, sans doute une manière de me protéger de cette misère, d’en faire abstraction. Mais maintenant, quand un de ces miséreux croise mon chemin, de temps à autre, je fais comme les locaux, je lui donne quelques pièces. Certains diront qu’il ne faut pas offrir du poisson au mendiant, mais lui apprendre à pêcher. Ils n’ont pas tort, mais je ne suis pas convaincu que les tenants de ce discours apprennent à pêcher à ces exclus. Ça ressemble parfois à une excuse facile pour se dédouaner.
On sait à quel point il est difficile en France de faire sortir une personne de la rue, alors dans un pays aux structures sociales défaillantes ! J’adopte donc une attitude pragmatique. Au quotidien, il faut bien que ces personnes mangent, donc je donne occasionnellement. Aucun miracle ne va les sortir de leur condition du jour au lendemain, ma pièce ne résout aucun problème à long terme, mais à court terme, elle soulage peut-être un peu. J’ai tendance à donner le plus souvent aux plus âgés et aux femmes, ceux pour qui cette exclusion me semble encore plus difficile.
Et même si je ne donne pas, je ne regarde pas mes pieds quand je croise ces mendiants. J’essaye de leur sourire, de leur rendre ce minimum de dignité, celle d’exister, à laquelle ils ont droit eux aussi.
Le seul cas où je ne donne jamais d’argent (ou de stylo comme c’est souvent demandé), c’est aux enfants, car je considère que c’est un geste éducatif désastreux.
Laurent – One Chaï
La rue est un univers très ambivalent. Si elle est souvent source de violence et de solitude, elle peut pourtant être synonyme de seconde famille pour certains qui ont tout perdu. C’est notamment le cas pour les enfants qui y vivent. En effet, lorsqu’un enfant doit s’assumer seul, sans accompagnement familial ou scolaire, c’est à l’espace urbain de prendre en charge cette population livrée à elle-même.
La rue devient alors le domicile, l’instance de socialisation. L’enfant y crée ses repères et y vit ses propres expériences. Le monde de la rue remplace donc la famille sur de nombreuses facettes. Malgré tout, il faut garder à l’esprit que jamais la rue n’offrira à l’enfant un cadre stable où il pourra s’épanouir et trouver une écoute, de l’affection, du repos et de la tranquillité.
Concernant les enfants, la question de la mendicité est donc complexe. Donner au risque de maintenir le jeune dans la rue? Ne pas donner au risque de rendre la vie de cet enfant encore plus difficile? Ou le soustraire de l’espace urbain, mais pour aller où?
Donner aux adultes, ça dépend… Aux enfants, non!
J’ai toujours été mal à l’aise avec la mendicité, que ce soit en voyage ou en bas de chez moi. D’ailleurs, je ne m’applique pas des « règles » différentes selon que je sois à 200 mètres ou 5000 km de ma maison.
Concernant les adultes, je n’ai pas d’avis tranché. Tout dépend du contexte, de la façon dont je suis sollicité, de ce qui m’est demandé… Donner à un adulte ne me choque pas, ce peut même être un acte de solidarité s’il ne s’agit pas d’un système organisé et si cela répond à un réel besoin.
En revanche, je suis bien plus catégorique en ce qui concerne la mendicité des enfants. Par principe, je ne donne pas aux enfants et n’achète pas aux enfants qui vendent dans la rue. Pourquoi ce traitement différencié ? Parce que je pense que cela alimente un système pernicieux. Un enfant qui mendie, c’est un enfant qui risque fort de ne pas aller étudier. C’est hypothéquer sur son avenir. En donnant à un enfant, on risque d’en envoyer d’autres dans la rue. Demandez aux locaux, ils nous ont tous décrit le même risque de spirale vicieuse.
D’autant plus que parfois la mendicité des enfants est organisée, exploitée. J’ai passé 6 mois au Sénégal. Les familles y envoient traditionnellement un de leurs enfants dans des écoles coraniques. Or, beaucoup de ces daaras dirigées par des marabouts peu scrupuleux se servent des enfants pour mendier dans la rue. Si ces derniers n’ont pas rapporté suffisamment, ils sont allègrement battus… Heureusement le pays a récemment décidé de légiférer et l’avenir s’annonce un peu meilleur pour ces enfants.
Cet article nous a donné envie de développer d’avantage notre propos sur la mendicité et le travail des enfants. Le débat est ouvert !
Seb & Laura – Les globe blogueurs
Les enfants sont à considérer différemment des adultes. En effet, ils bénéficient de droits spécifiques, qui loin d’être toujours appliqués, doivent rester l’objectif à atteindre (bénéficier d’un certain nombre de droits naturels et fondamentaux : logement, nourriture, affection, socialisation harmonieuse, éducation, santé, jeux…).
La Convention Internationale des Droits de l’Enfant a été adoptée en 1989. Elle consacre l’enfant citoyen, ayant des droits mais pas d’obligations. L’enfant y est mythique, symbolique. Il n’est pas touché par les grandes inégalités. Cette convention n’est pas adaptée à cette problématique et est en décalage avec le réel vécu des enfants en situation difficile. De plus, elle a été largement inspirée par des valeurs occidentales, c’est pourquoi elle est difficilement compatible avec certains contextes culturels. Elle est également intemporelle, et ne peut donc pas refléter l’évolution des sociétés et de leurs problématiques. Elle sert pourtant de référence incontournable à de nombreux professionnels.
Il reste encore de nombreux progrès à faire en matière de protection des droits des enfants. De plus, les rapports que ces jeunes mineurs entretiennent avec la police sont souvent de nature violente, alors que cette dernière est censée faire appliquer la loi et protéger les populations.
À chacun de ces niveaux se retrouve un problème permanent : l’atmosphère de mépris, voire d’hostilité, dont l’opinion publique entoure ces enfants, perçus comme un danger qui appelle une seule réponse : la répression. Tant qu’il en sera ainsi, ils ne peuvent qu’être toujours plus refoulés au-delà des lisières de la société.
Yves Marguerat, A l'écoute des enfants de la rue en Afrique NoireSi nous souhaitons agir en tant que voyageurs responsables, nous devons porter une attention particulière aux enfants, car en souhaitant bien faire, nous risquons fort d’assombrir ou du moins d’entretenir une situation déjà précaire.
Différencier les situations :
Face à la mendicité, il est toujours difficile de réagir. Les situations sont toujours différentes. Pays développé ou pays en développement ? Jeune adulte ou famille ? Adulte ou enfant ? Pour toutes ces raisons, je pense effectivement qu’il est toujours difficile de réagir. Mendicité organisée ? Crise personnelle, civile ? Guerre ? Concours de circonstances ? Les raisons sont multiples de se poser la question si l’on donne ou pas. Pour ma part, lorsque je suis à l’étranger, je m’applique les mêmes principes face à la mendicité que pour d’autres aspects du voyage et dans ma vie en général. J’essaie de respecter au maximum la personne qui se trouve en face de moi, être poli. Essayer, si cela est possible, de communiquer avec la personne. Essayer de comprendre le contexte global et, peut-être, plus personnel. Je donne régulièrement mais je suis d’autant plus satisfait de mon geste si j’ai réussi à répondre à ces quelques principes. Pour cela, je n’ai pas de position tranchée sur le sujet. Je fais surtout confiance à mon instinct et à mon discernement. Je le fais avec cœur et humilité.
Aider est un bien grand mot. Parfois, il peut arriver de donner et encore de se demander plusieurs années après, si notre geste a vraiment été utile. Notamment envers les enfants. Situation toujours délicate quand elle se présente à nous. Sûrement celle que j’ai le plus de mal à vivre. Il m’est difficile de donner. De l’argent en tous cas. Parfois, ces enfants (je me rappelle de cette situation à Dakar, au Sénégal, il y a une dizaine d’années) sont utilisés pour approvisionner des adultes qui se contrefichent dans quelle misère ils vivent. Ce sont des enfants des rues, qui y dorment. Souvent très jeunes. Leur quotidien est de mendier et de rapporter leurs gains à un adulte. Pour quelle contre-partie ? L’ai-je vraiment aidé lorsque j’ai donné ? Aujourd’hui, j’en doute encore. Quelle image ai-je renvoyé ? Quel message ai-je passé ? Ce dont avait sûrement besoin ces enfants, c’était du temps. Que l’on s’occupe d’eux. Mais, j’avais réagi. Avais-je agi pour l’amélioration de la situation à ce moment donné ?
Agir est bien sûr possible. Pour cela, il faut se confronter aux problèmes et adopter des actes responsables. Il est possible quand on le souhaite de s’engager. Beaucoup d’associations œuvrent pour les plus défavorisés dans les domaines de la solidarité, de la politique, de l’éducation ou des loisirs. De nombreuses personnes sont mobilisées et mettent en place des projets. Dans la société dans laquelle nous vivons ce n’est pas toujours facile mais ne serait-ce pas une bonne réponse face à la pauvreté et à la mendicité, qui en est un des derniers échelons ?
José – Macadam Pixels
Il y a quelques années, j’ai effectué mon stage de fin d’études en Mauritanie. Par conséquent, j’ai passé plusieurs mois aux côtés des enfants des rues de Nouakchott. Ces jeunes, qui ressemblent bien souvent à des caïds, sont pourtant des enfants. Marginalisés et contrairement aux enfants dits sur-intégrés (enfants soldats, exploités…), ils sont exclus de la société et non placés au cœur de son système d’exploitation.
Ainsi, les enfants des rues sont ignorés par les populations locales, bien qu’ils les côtoient quotidiennement. Nombreux sont les stigmates qui leur sont associés : drogués, menteurs, voleurs – mais il faut bien survivre! Ils font désormais peur et attirent la méfiance, difficile dans ces conditions de se réintégrer.
Par ailleurs, décrire et analyser ce qu’est la vie dans le monde de la rue n’est pas une chose facile. Seuls ceux qui ont déjà vécu cette situation se représentent réellement ce que cela signifie. Il faut toutefois savoir que vivre dans l’ombre de l’espace urbain oblige à se plier à des conditions très précaires. Dans la rue, les activités quotidiennes se transforment toutes en de grandes difficultés, comme se nourrir, se soigner, dormir, se laver, notamment lorsque le sort est subi. J’évoque ces problèmes dans l’article suivant : voyager sans argent (mais soyons clairs, loin de moi l’idée d’effectuer un quelconque parallèle entre ces deux exemples radicalement opposés). Quoi qu’il en soit pour survivre dehors, il faut développer des compétences et des stratégies précises, et trouver un peu d’argent.
Les personnes en situation difficile sont donc en recherche permanente de ressources économiques. Outre cela, le fait de vivre dans la rue les inscrit dans un nouveau paradoxe : être à la fois banni de la société et vivre en plein cœur de celle-ci.
Préférer donner de la nourriture :
Voyager, c’est aussi se confronter à de tristes réalités comme l’extrême pauvreté et la mendicité des enfants. Comment réagir ? Faut-il donner (et accepter qu’ils deviennent une source de revenus pour leurs parents et n’aillent pas à l’école) ? Ou faut-il refuser tout don (même si l’école est parfois illusoire et les revenus de l’enfant nécessaires pour la famille) ?
Nous avons ce débat très souvent et la réponse, nous ne l’avons pas. Mais mine de rien, quand une petite personne hirsute et sale vous tend la main avec de grands yeux plein d’espoir, c’est souvent qu’elle en a besoin.
Notre solution est de donner de la nourriture ou des objets plutôt que de l’argent. Des fruits, de l’eau, on en a toujours dans notre besace et on se fait rarement rembarrer quand on les propose.
Et surtout, nous prenons toujours le temps d’échanger avec les enfants afin qu’ils ne considèrent pas les étrangers comme des portefeuilles sur pattes mais aussi (et surtout) pour qu’ils comprennent qu’ils ont de l’importance pour nous, en tant que personnes. Souvent on rigole aussi un peu en faisant des pitreries ou en baragouinant quelques mots dans leur langue. Rigoler, ça fait du bien à tout le monde, non?
Ania – 100 pied à terre
Ania met le doigt sur un point crucial, en tentant de redonner à ces enfants un peu d’importance. En effet, l’un des risques serait de basculer dans la considération inverse : présentés comme étant uniquement victimes de la rue et appartenant à un groupe social marginalisé, les enfants perdraient toute identité personnelle, ainsi que toute culture et autonomie. Pourtant, il faut savoir que ces jeunes ont une identité personnelle forte, et que renier cette dernière serait supprimer une partie de leur humanité.
L’identité d’une personne se constitue grâce à ses propres expériences, et par rapport aux autres individus (famille, amis…). L’enfant définit donc son identité en se confrontant aux jugements (réels et imaginaires) qu’il perçoit chez l’autre, à son sujet. Comme la plupart d’entre nous, l’enfant ressent le besoin d’être perçu de manière positive par le reste de la société. Ainsi, lorsqu’il perçoit un sentiment de peur et de méfiance de la part des passants, il dévalorise sa propre identité. De plus, beaucoup d’entre eux ne possèdent pas d’état-civil – ce qui est pourtant un droit inaliénable. Cela a pour effet de les rendre encore plus vulnérables, sans compter le fait qu’il leur est plus difficile de se construire une identité personnelle dans ces conditions. Prendre le temps d’échanger avec ces enfants, en les considérant comme des personnes à part entière n’est donc pas vain.
Donner à des organismes locaux :
Les problèmes complexes, comme la pauvreté, se résolvent rarement par des solutions simples. Prenons le cas de la mendicité. Devrait-on donner aux mendiant-es, en voyage? Malgré mes expériences sur la route, je n’ai toujours pas trouvé de réponse définitive à cette question. Il n’y a pas de solution miracle, adaptable à toute situation. L’idéal serait, à mes yeux, de plutôt donner à des organismes locaux qui luttent contre la pauvreté. Ils connaissent les besoins du milieu, ils savent mieux que nous où et comment agir. Certes, on peut participer à des projets d’aide humanitaire ou d’aide au développement – je l’ai moi-même fait -, mais on risque alors de développer un « White Saviour Complex » et ainsi contribuer à une forme de néocolonialisme. Oui, certains projets peuvent produire des résultats concrets, mais ces projets devraient toutefois s’inscrire dans une perspective à long terme. Ils demandent par ailleurs un investissement personnel important, ce que ne permettent généralement pas les projets de deux-trois semaines. Mais surtout, ils devraient permettre un transfert de connaissances, afin que les populations aidées puissent se prendre en main. En outre, ces dernières n’ont pas besoin de touristes qui ne viennent les visiter que pour soulager leur conscience d’une culpabilité ressentie face au passé colonial de nombreux pays (et prendre de belles photos pour leur profil Facebook). Bref, ce débat est tout en nuances de gris. Mais au-delà de celui-ci, dans le feu de l’action, je crois que, ultimement, l’intuition constitue le meilleur guide pour aborder les situations de mendicité. Du cas par cas, donc. Avec sensibilité et respect.
Stéphane – La page à Pageau
Je partage l’opinion de Stéphane, donner à des structures existantes est à mon sens l’une des meilleures solutions à envisager. Il existe de nombreuses organisations qui travaillent avec les personnes défavorisées. Je me permets de vous donner le contact de l’association OTM (Orléans Trait d’Union Monde). Cette organisation se consacre à l’aide aux orphelins, aux centres de santé et nutritionnels ainsi qu’aux écoles du Rwanda. Depuis 1992, dans le but d’aider les enfants fragiles à rester scolarisés, elle met en place des parrainages.
Je soutiens OTM depuis 2010 : avec ma meilleure amie, nous partageons les frais de parrainage afin de permettre à Bogota de poursuivre l’école. Il s’agit d’une association fiable et qui a fait ses preuves depuis des années, grâce à elle de nombreux enfants ont pu continuer leur scolarité.
Lorsque l’on souhaite apporter son soutien, sans forcément savoir comment nous y prendre, parrainer un enfant est effectivement une solution qu’il est intéressant de considérer. N’hésitez pas à contacter l’association OTM pour toute question ou demande d’information supplémentaire.
Nous sommes d’ailleurs nombreux à penser qu’apporter son aide à une association est l’une des formes de soutien les plus adaptées. Solange en témoigne ci-après. Les populations locales et les ONG qui travaillent en lien étroit avec elles sont les plus aptes à réagir efficacement contre la marginalisation d’une partie de la société. De préférence, soutenez les projets pérennes aux initiatives isolées qui ne s’inscrivent pas dans le temps.
Parrainer un enfant :
Parler de la mendicité, vaste sujet. Donner ou pas ? Pourquoi ? Par humanité, compassion, pour acquérir une bonne conscience ou une bonne image de soi.
Donner sur sollicitation, je suis contre. Parce que je sais que je ne répare pas les inégalités ainsi. Je peux même les accentuer comme avec ces écoliers indiens qui préfèrent mendier plutôt qu’aller à l’école, parfois avec l’accord de leurs familles. Donner au risque d’enrichir des bandes organisées qui exploitent la misère des locaux et la mauvaise conscience des touristes, nulle envie. Prendre le risque de me faire dépouiller après avoir révélé l’endroit où je planque mon pécule, pas plus. Certains touristes donnent de la nourriture. À Cuba, une jeune femme avec bébé demandait du lait maternisé aux touristes, lait qu’elle revendait à moitié prix au même commerçant.
Pourtant, j’ai encore en tête une très vieille femme, très maigre dans une banlieue de Hô Chi Minh, et je regrette encore la maigreur de mon don. J’avoue qu’elle ne m’avait rien demandé.
Ma solution pour aider vraiment? Je verse mon obole depuis une éternité (plus de 20 ans) à un organisme de parrainage d’enfant et d’aide au développement.
Solange – Séniors en vadrouille
Lors de la rédaction de mon mémoire, durant ma recherche documentaire, j’ai lu de nombreux écrits décrivant les personnes marginalisées comme étant des incapables, des misérables ou des victimes impuissantes. Ces qualificatifs réducteurs émanaient d’ailleurs aussi bien des médias que d’un grand nombre d’associations, notamment occidentales.
Exclus de la société, exclus du système, exclus de la culture : cette vision misérabiliste porte un tort considérable à la cause censée être défendue, engendrant par la même occasion une nouvelle violence, celle de la stigmatisation.
Aller plus loin :
Si vous souhaitez voyager de façon plus responsable, et rendre votre aventure porteuse de sens, je vous invite à lire les articles suivants :
- Débat voyageurs : faut-il boycotter les dictatures?
- Voyager ne nous rend pas meilleurs
- Sortir des sentiers battus : 9 blogueurs partagent leur expérience
- Faire de la solidarité internationale : partir, mais pour quoi faire?
- Faire de la solidarité internationale : conseils pour débuter sans expérience
- Financer un projet solidaire
Si cet article ne vous a pas apporté de réponse stricte quant à la question de départ, je conclurai cette réflexion avec les mots suivants. Dans la rue, les choix que ces enfants et adultes ont à faire sont cruciaux, et les responsabilités qu’ils prennent sont grandes. Celui qui souhaite intervenir ou apporter son aide doit accepter de ne pas être tout-puissant, accepter qu’ils aient leur mot à dire dans les décisions qui les concernent et enfin, accepter qu’ils soient les principaux acteurs de leurs parcours de vie.
En d’autres termes et quel que soit leur âge, ces personnes capables de survivre dans des conditions extrêmement difficiles, sont tout autant aptes à prendre en main leur avenir. C’est en les considérant de façon respectueuse, sincère et chaleureuse que notre soutien sera le plus efficace. Finalement, donner de l’argent ou non ne fera pas une grande différence, tandis que considérer notre prochain comme notre égal est un premier pas vers une société plus juste, plus harmonieuse et plus humaine.
Enfin, si l’envie vous en prend, n’hésitez pas à prolonger le débat dans les commentaires ci-dessous!
Cet article est vraiment super. C’est un problème très difficile auquel j’ai déjà réfléchi, et comme tous, sans y apporter de réponse tranchée. Je suis personnellement en faveur des dons envers des organisations locales impliquées dans la scolarisation ou l’intégration des personnes qui vivent dans la rue. C’est le meilleur moyen pour que l’argent soit bien employé selon moi. D’un autre côté quand je rencontre des gens qui font la manche, en France ou à l’étranger, j’ai du mal à appliquer cette attitude souriante, j’ai l’impression de me moquer d’eux, tout ce qu’ils veulent c’est de l’argent et moi je leur dis juste bonjour de mon attitude hautaine. Du coup des fois j’ignore, des fois je souris. Je ne sais pas vraiment comment me comporter même si, vous le mettez en lumière, c’est très précieux de recevoir de l’attention.
Salut Lauriane! Merci pour ta contribution à ce débat. Je comprends tout à fait ce dont tu veux parler, et c’est vrai que ce n’est pas toujours évident de simplement dire bonjour ou porter un peu d’attention. Il y aura toujours une part de culpabilité, qu’il est difficile de dépasser…
J’aime beaucoup la manière dont tu as traité cet article et notamment la façon dont tu as su mettre en lumière nos propos avec tes réflexions et celles de chercheurs ou d’auteurs reconnus. Un très bel article au final qui me donnent vraiment à réfléchir, même si je ne partage pas les points de vue de tous. Mais c’est bien normal face à un tel sujet. Merci et à bientôt ! Paul
Salut Paul! Merci pour ces gentils compliments! J’ai un peu galéré à mettre tout ça en forme, et ton message fait plaisir à lire 🙂 Merci pour ta participation, bonne continuation, et au plaisir!
Avoir traité le sujet en apportant des points de vues différents et non concertés est une approche vraiment intéressante et riche.
Je me retrouve dans beaucoup de ces propos, mais ce qui me marque surtout, c’est la nuance et la finesse dans la réflexion. On voit bien que le sujet est sensible et traité avec sensibilité.
J’en retire l’enseignement que le plus important, c’est de prendre le temps réfléchir aux conséquences de ses actes et surtout de chercher à préserver la dignité, l’humanité des personnes rencontrées.
Il n’y a pas de généralité à faire, chaque individu qui mendie possède sa propre histoire qui nécessite le respect. De manière un peu schématique, je dirais l’empathie oui, la compassion, non.
Ensuite, donner ou ne pas donner, à chacun de faire ce qui lui semble le plus humain en fonction de ce qu’il connait de la situation. Et c’est là qu’est toute la complexité, la plupart du temps on ne sait pas grand chose des personnes qui nous sollicitent…
Coucou à tous les deux, et merci pour votre message! Contente d’avoir eu votre participation parmi nous et au plaisir 🙂
C’est une question difficile en effet, c’est intéressant d’avoir différents points de vu, surtout au niveau des enfants, je n’avais pas pensé à tous les problèmes que ça peut engendrer
Oui effectivement, concernant les enfants la problématique se doit d’être posée différemment et avec précaution… Il faut toujours être vigilant et se poser les bonnes questions avant de donner 🙂
Je suis d accord avec la plupart de ce qui est dit. C est forcément un sujet récurrent en voyage et surtout bouleversant! Moi aussi je suis passé par fes tonnes de remises en question, et suis passee parfois du noir au blanc, pour au final comme toujours je crois revenir au gris pour me dire que chaque situation est différente, comme chaque personne l est alors il faut suivre son instinct et réussir surtout a surmonter tout ce que cela évoque…on ne peut pas sauver le monde…mais on peut apporter un peu (et pas que de l argent) ici et là… je retourne en inde bientôt et je sais que croiser toutes ces personnes dans la misère sera parfois effroyable, mais ainsi va le monde…..
Salut Marion, merci pour ton commentaire. Difficile de passer par toutes ces remises en question que tu évoques, mais effectivement cela fait partie du voyage… Je te souhaite une très belle aventure en Inde (et au Népal^^), profite bien 🙂