J’ai quitté mes trois compagnons de voyage avec qui j’ai effectué un grand road trip en Namibie, et visité une partie de la Zambie. J’ai rejoint Blas, un argentin expatrié en Afrique du Sud (nous nous sommes rencontrés par le biais du couchsurfing), pour une nouvelle aventure : au Botswana cette fois.
Le 25 septembre dernier, je fêtais mes vingt-huit ans, embourbée dans un désert de sel. Voici comment…
Mais il est où ce désert???
Nous roulons depuis quelques heures, en provenance de la frontière zambienne. La nuit est tombée. Nous n’avons pas vraiment de plan, nous avons juste entendu parler d’un grand désert de sel, appelé Sua pan, à quelques centaines de kilomètres. Nous décidons d’y passer la nuit. J’ai déjà vadrouillé au Sahara et au Namib et je me dit qu’un désert, c’est censé se trouver facilement non?
On cherche un long moment l’entrée du site. Il y a une mine de sel, et le lieu, bien qu’accessible, est protégé par des militaires. Nous tentons donc par tous les moyens de passer les barrages, et y parvenons après quelques échecs.
Nous entrons sur le pan. Il fait nuit noire, et nous roulons tout droit. Pas un bruit. Pas une lumière. Pas un véhicule. La liberté absolue. Le 4×4 dérape de tous côtés. Nous qui voulions voyager hors sentiers battus, c’est réussi ! Blas a un sourire grand jusqu’aux oreilles : on ne conduit pas tous les jours dans un lieu pareil. Ça glisse de plus en plus, le véhicule ralentit et s’arrête, au beau milieu de nulle part…
La première nuit :
Moi : Tu crois qu’il y a des lions?
Lui : Peut-être, il y a des empreintes ici.
Moi : Et des scorpions?
Lui : Oui, fais attention, c’est dangereux, il peut y avoir des serpents aussi. Ils sont mortels.
Moi : On fait quoi du coup?
Lui : On n’a qu’à faire cuire des pâtes.
Vu l’état des deux roues arrières, aux trois-quarts recouvertes par de la glaise, nous décidons de passer la nuit dans la voiture et de ne la dégager que demain matin.
On fait donc cuire des pâtes, éclairés par les phares de la Mitsubishi Pajero. On grimpe ensuite sur le toit du 4×4, emmitouflés dans des couvertures car le vent souffle fort, et on s’allonge sous un ciel couvert d’étoiles. Il est minuit, c’est mon anniversaire, et je n’aurais pas pu trouver de plus bel endroit pour le fêter.
Je me lève à 5h45, face au plus beau soleil qui puisse exister. Un rose éclatant semble escalader l’horizon, si blanc, si sec, si grand.
Je réveille Blas, il m’en voudrait de louper ce spectacle. Il fait chauffer du café. On inspecte les dégâts à la lumière du jour. Ça a l’air sérieux, mais nous estimons avoir une chance de nous en sortir dans la journée.
Nous sortons les guitares, le moment est trop beau pour mettre d’emblée les mains dans la terre. Vers 10h30 le soleil commence à nous brûler, de plus en plus. Nous réalisons alors qu’il serait peut-être temps de nous préoccuper de la situation.
Premiers essais :
Nous creusons autour des roues. La terre salée s’enfonce dans nos égratignures et bien que peu profondes, ça pique. Bien sûr, nous n’avons pas de pelle, cela aurait été trop facile. Non, notre style, c’est plus de partir à l’aventure, munis de deux cuillères à café. On continue de gratter, tout en ayant l’impression de jouer à la dînette. Pas très rapide, et pas très pro, je le confesse, n’empêche, c’est bien marrant.
Nous essayons de démarrer la voiture et d’avancer, ce qui empire la situation, les roues sont totalement recouvertes d’une glaise collante et n’adhèrent plus de tout. Bon. Il va falloir faire autrement. Nous creusons sous les roues cette fois. Nous y glissons tout ce qui nous passe sous la main : bidons, cartons, serviettes, et même la moustiquaire (RIP). Oui car bien sûr, nous n’avons pas pensé à prendre du bois. Nous avons toutefois quelques réserves d’eau, on n’est pas bien malins, mais pas inconscients non plus. Cela ne fonctionne toujours pas.
Nous pensons à une dizaine de solutions différentes, cette situation nous rend très créatifs. Nous sortons deux crics et tentons de soulever la voiture pour y glisser encore plus d’effets personnels, préférant ruiner à jamais nos derniers trésors plutôt que de mourir de soif.
Les deux crics, bien que posés sur des bidons, s’enfoncent infiniment dans le sol, dont la sous-couche est pleine d’eau.
Évidemment, nous sommes bien loin de toute civilisation, et ne pouvant téléphoner à qui que ce soit, nous emportons tout notre stock d’eau potable, couvrons nos visages d’une longue étoffe pour nous protéger du soleil, et entamons une longue marche : l’Afrique en mode sac à dos, c’est parfois sportif.
La grande traversée :
Nous n’avons aucune idée de la distance, et essayons de calculer notre temps de route d’hier soir et notre vitesse, mais les souvenirs sont flous. On croise les doigts. C’est mon anniversaire tout de même! Ça devrait bien se passer. C’est désormais l’heure la plus chaude de la journée, et nous commençons à regretter nos quelques heures de guitare de ce matin, lorsqu’il faisait encore si frais.
On boit. Des litres. On discute, ça passe le temps. Ça chauffe tout de même! On découvre toutes sortes d’empreintes, des hyènes, des autruches, des flamants roses, magique. Personne ne se plaint: nous contemplons. Nous apercevons nos premiers mirages, de vagues oasis au loin qui disparaissent après quelques dizaines de minutes de marche. Cela existe donc vraiment.
La mine de sel crache sa fumée, enfin, nous sommes sur la bonne voie. Encore quelques efforts et nous pourrons demander de l’aide. Le sol craquèle sous nos pieds. Une fine couche de sel se dérobe à chaque pas, découvrant ainsi une terre brune, qui colle à nos chaussures. Chacune de mes tongs doit peser un kilo, et il nous faut être habiles pour ne pas glisser.
La fin de la traversée est proche, un chemin qui traverse le bush mène à un lodge, et nous nous y rendons sans plus attendre, un peu gênés.
Et ça continue!
Les employés du complexe nous accueillent chaleureusement et téléphonent aux pompiers afin qu’ils nous aident à dégager la Pajero. Ces derniers nous rejoignent en voiture, nous leur expliquons la situation et nous nous rendons sur place sans plus attendre.
Nous roulons, nous nous enfonçons de plus en plus, et le camion de pompiers glisse également. Le chauffeur est prudent, et avance lentement, s’arrêtant de temps en temps pour évaluer l’état du sol.
Malgré tout, nous nous embourbons. Nous sortons les pelles et le cric, et creusons sous les roues. Première accélération, cela empire les choses. Nous creusons de plus belle, on n’est plus à ça près.
Il y a encore quelques heures, nous tentions péniblement de préserver un tant soit peu l’état de nos vêtements. Désormais, nous sommes blancs de la tête aux pieds. Nous vêtements sont alourdis et rêches, sous le poids de la glaise. Rien à faire, la voiture ne répond plus de rien. Les pompiers allument donc leur radio et demandent du renfort auprès de la brigade de Sowa, où se trouve leur caserne.
Jamais deux sans trois :
Nous attendons un long moment assis par terre, dans l’ombre du véhicule, et n’avons désormais plus d’eau, nos gorges commencent à picoter. Le second camion de pompiers arrive, nous les apercevons au loin… s’embourber eux aussi.
Nous marchons à leur rencontre, creusons, glissons des branchages sous les roues, démarrons, et le véhicule repart. Nous courons derrière et nous nous accrochons, hors de question de s’arrêter. Mais nous nous embourbons à nouveau. Cette fois, malgré tous nos efforts, impossible de nous dégager.
Un problème à la fois, nous prenons les branchages sous le bras et marchons pour regagner l’autre camion de pompiers, ayant un peu plus d’espoir.
Blas et moi reprenons la marche en sens inverse jusqu’au lodge, pour racheter des boissons, c’est la moindre des choses. C’est toujours aussi loin, mais il fait moins chaud. Premières sensations de vertiges, nous sommes crevés et avons pris un bon coup de chaleur aujourd’hui. Mais hors de question de laisser tous ces pompiers sans la moindre goutte d’eau. On ne fait pas les fiers, on se rend bien compte de notre bêtise, et nous croisons les doigts pour que personne n’ait besoin de leur aide aujourd’hui.
Nous croisons sept ou huit personnes sur notre chemin, qui marchent et viennent en renfort, les pompiers les ont appelés.
Nous leur indiquons la voie, les quittons et atteignons le lodge où nous achetons une quinzaine de litres d’eau, qu’il nous faut ensuite porter à bout de bras, ce qui s’appelle assumer sa connerie.
Retour sur le pan, et entre temps les pompiers ont dégagé leurs deux camions. La nuit est tombée. Nous marchons encore environ trois-quarts d’heure pour rejoindre notre 4×4, accompagnés de ces quinze volontaires adorables, qui ne nous blâment pas et se sentent désolés pour nous. Tous sont fatigués, sont couverts de terre et portent les branchages, mais les blagues fusent et les sourires éclairent leurs visages sous le reflet des étoiles.
Mission Pajero :
Vers 22h, exténués, nous atteignons enfin la Pajero qui nous attend bien sagement. Les pompiers tentent d’accélérer mais la glaise disparait sous les roues, creusant encore plus et le 4×4 repose désormais entièrement sur la terre. Il faut donc creuser sous l’entier véhicule, soit sur plusieurs mètres carrés.
Avec Blas, nous ne tenons plus debout, prenons une couverture, nous écroulons sur le sol, et leur proposons de revenir le lendemain. Nous n’avons même plus l’énergie d’avoir peur des scorpions ni des serpents, nos corps sont à bout de force.
Les pompiers s’acharnent, fiers, et surtout solidaires. Rien n’y fait, la voiture est trop enfoncée dans le sol. Ils décident de soulever le 4×4. Incroyable. Imaginez quinze hommes, comptant jusqu’à trois, et soulevant la Pajero sur plusieurs centimètres à chaque essai, usant leurs dernières forces. C’est émouvant, et nous ne savons que dire pour nous excuser et les remercier.
La voiture est malgré tout toujours sous l’emprise du pan. Ils prennent le risque de conduire l’un de leur camion jusque là, s’embourbent, se dégagent, et nous rejoignent. Ils attachent un long câble métallique à l’avant du 4×4. Après plusieurs essais infructueux, ils parviennent enfin le dégager sous de grands cris de joie. Avec la fatigue, et l’intensité du moment, nous en avons les larmes aux yeux. Merci…
Deuxième nuit sur le pan :
Un pompier expérimenté conduit difficilement la Pajero qui glisse encore et toujours. Toute la brigade continue de nous pousser sur plusieurs centaines de mètres, et enfin, il reprend le contrôle du véhicule.
Le camion de pompier s’est bien sûr embourbé entre temps et les pompiers travailleront jusqu’à deux heures du matin pour se tirer d’affaire. Enfin, les trois véhicules sont hors de danger, et nous roulons de front, tous feux allumés. L’instant est incroyablement émouvant. Tous, nous nous saluons et nous sourions à travers les vitres poussiéreuses, et roulons ainsi jusqu’à la sortie du pan, ce qui nous semble être une éternité. Le lodge est hors de prix, nous choisissons de dormir à nouveau dans la voiture.
Nous remercions plus que chaleureusement les pompiers, puis nous nous endormons en l’espace de quelques secondes. Le lendemain, c’est reconnaissants et émus que nous irons apporter le goûter à la caserne, heureux de saluer à nouveau ces hommes qui ont probablement choisi le plus beau métier du monde.
Nous réaliserons après coup l’étendue de notre insouciance, nous qui souhaitions seulement fêter mon anniversaire dans le désert. Il y a quelques temps, des touristes allemands ont perdu la vie dans ce pan. Nous avons été plus chanceux, notre voiture s’est embourbée à une distance accessible à pieds.
Blas et moi avons grandis, nous avons appris que malgré l’expérience que nous pensions avoir, la nature peut toujours prendre le pas sur l’Homme. Nous avons remercié le ciel que personne d’autre n’ait eu besoin de secours ce même jour. Nous avons renforcé nos liens aussi, quarante-huit heures de sel et de sueur, ça marque les esprits aussi bien que les corps.
Et nous sommes, cette fois plus que jamais, reconnaissants envers toutes ces belles personnes que la route nous permet de rencontrer, et sans qui, nous ne serions définitivement pas grand chose.
Un grand merci à toute la brigade de pompiers de Sowa…
Et pour aller plus loin, n’hésitez pas à retrouver tous mes récits de voyage, ainsi que l’intégralité des articles relatant mon tour du monde, et la philosophie de ma vie nomade !
oh la la quelle histoire !! vous avez eu de la chance dans votre mésaventure !!
Beaucoup de chance d’avoir reçu l’aide de ces pompiers, ça c’est certain! 🙂
Quelle histoire au final plus de peur (et de soif) que de mal. Et heureusement!
Cet anniversaire restera à jamais gravé dans les annales.
Oui, ça, c’est sûr!!! Bises 😉
Quelle histoire ! Tu t’en souviendras de cet anniversaire !
J’aime beaucoup ton article. Il est touchant et très reconnaissant envers ce difficile métier de pompier.
Au moins, vous aurez eu le temps de l’admirer ce désert de sel !
Sûr que je m’en souviendrai!!! Et oui, c’était magnifique 🙂
Merci de nous faire partager cette « épopée » mais parfois est-ce bien raisonnable? Tu me diras, dans ces aventures , il
n’y a pas de place pour la raison …Bonne continuation prends soins de toi!!!
PS Bon anniversaire tout de même qui restera à jamais dans ta mémoire.
Merci!!! Oui c’est sûr que je n’oublierai jamais cette folle journée! Bises 🙂
voilà donc l’objet du litige …
et moi qui te téléphone juste à ce moment là pour te souhaiter un « bon » anniversaire !
je comprends mieux l’incongruité de mon geste…
mais entre nous, tu as fait fort cette fois ci !
merci aux pompiers pour leur dévouement
grosses bises
Ne t’en fais pas j’étais contente de t’avoir au téléphone!!! Gros gros bisous
Je n’ose pas te parler de ton anniversaire, vu de Loubeyrat (Puy de Dôme France) c’est un peu insipide. Le coeur y est quand même. Je t’embrasse – Papi Gilbert
Haha même de Loubeyrat ça fait toujours plaisir! Gros bisous 🙂