Faire de l’auto-stop au Kirghizistan, une fausse bonne idée ? Laissez-moi vous prouver le contraire ! Après plusieurs mois d’attente, quelques semaines de réel empressement et une percée dans le Xinjiang et les Monts Célestes devancière, nous y voilà: José et moi venons d’entrer en Asie Centrale, et plus précisément au Kirghizistan. Dès nos premiers jours au pays des lacs azurés, nous avons embrassé la légende racontant que le charme que nous rencontrerions désormais dépasserait tout entendement.
Nous nous plaisons platement à croire que lorsque les rêves sont trop grands, les déceptions sont acerbes. Voyager en stop au Kirghizistan aura démenti le dogme : nous fantasmions sur un Éden celé, nous avons néanmoins atteint le toit d’un monde pharamineux. Notre rencontre avec une famille nomade kirghize y fut pour beaucoup, et voici pourquoi…
Och et nos premières impressions :
Tout commence à Och, lorsque nous nous apprêtons à entreprendre notre virée en auto-stop au Kirghizistan, après quelques brûlantes et fugitives journées d’acclimatation. En effet, bien que nous arrivions tout droit de Chine, nous n’avons pas encore eu l’occasion de faire du stop en Asie Centrale, contraints de partager un taxi de Kashgar à Och, via Sary-Tash. Déjà, lors de cette première étape nous nous enivrions, par monts et par vaux, de cette toile de fond d’herbacées, mouvante et absorbante.
Au Sud du pays, pas une circonvolution n’omet de dévoiler au voyageur épaté ses modestes yourtes élégamment disséminées, ses troupeaux de vaches replètes et ses étalons aux muscles saillants, ainsi que ses familles nomades kirghizes vendant en lisière d’asphalte kuruts (billes de fromage de vache) et kimiz (lait de jument fermenté).
Exultants, nous gagnons Och et nous précipitons au cœur de son grand bazar. Nous goûtons à nos premières saveurs kirghizes et sommes immédiatement conquis : après quatre mois de voyage en Asie Orientale, nous avions presque oublié le parfum d’une bouchée de pain encore chaud et le plaisir gustatif que procure une pâte dure, sans prétention mais affinée avec patience. Des lepechkas (pains ronds) dans les sacs et des kuruts plein les poches, nous quittons notre eldorado d’un soir et filons en direction d’Uzgen.
D’Uzgen au lac Toktogul :
Contrairement à ce que nous avions pu entendre, faire de l’auto-stop au Kirghizistan est relativement aisé, si l’on occulte la température ardente qui règne du matin au soir. Nous nous laissons ainsi porter au gré de ces véhicules venus d’un autre âge et parvenons à Uzgen en un tour de main. Nous répétons l’expérience de la veille, et nous perdons à nouveau dans les ruelles ombragées du marché. Entre deux étals bigarrés exhibant tissus ou épices, quelques monticules de lepechkas nous attisent l’appétit. Toutefois, gloutonnerie pleinement assumée, nous succomberons plutôt à de gourmands croissants fourrés à la confiture de lait.
Le hasard nous conduit ensuite au petit village de Razan-Say, dissimulé à flanc de montagne, où nous passons la nuit sous une bruine d’étoiles filantes. Les lèvres se scellent, les vœux jaillissent, l’avenir tiendra à coup sûr ses promesses.
Le lendemain, nous poursuivons notre road trip fantasmatique en nous enfonçant un peu plus au Nord, et atteignons le lac Toktogul. Nous boudons la ville du même nom, choisissant de faire étape près d’une crique délaissée où nous sommes seuls à profiter d’une eau azuréenne. Une multitude de minuscules poissons s’affairent à nous grignoter les mollets. Qu’importe les alevins, nous savourons la fraîcheur de ce bassin turquoise durant de longues heures ensoleillées.
Enfin, nous rejoignons la M41 et débutons notre ascension en vue des 3000m d’altitude promis par notre navigateur. Alors que la nuit annonce sa venue, un dernier conducteur nous dépose à un croisement et nous décidons d’en rester là pour la journée. Aussitôt, à la jonction de deux routes, de deux incertitudes et de deux promesses à la fois, un homme nous alpague.
La vie nomade kirghize :
Assis sur la devanture d’une yourte au côté de sa compagne, Nouri nous convie à nous joindre à lui. Dès les premières secondes, le sourire espiègle mais rassurant qu’il arbore nous convainc : nous acceptons avec allégresse l’invitation à passer une nuit en leur compagnie. Vigoureux et jovial à la fois, il parvient à briser la glace en ponctuant chacune de ses locutions d’une plaisanterie bien trouvée. Son épouse, Nourisia, est quant à elle très douce malgré son allure trapue. La vie nomade au Kirghizistan requiert quelques qualités physiques dont la robustesse, par nécessité.
L’habitation estivale se compose de trois espaces distincts : une roulotte servant de chambre à coucher, une cabane en bois abritant la cuisine, et une infatigable yourte faisant office de fromagerie éphémère. En réalité, la demeure s’étend bien au-delà de ces trois pièces : la plaine nourrit le troupeau, veille sur les âmes des défunts et ouvre la porte de l’infini. Dès les premiers jours de septembre, il ne restera rien de ce logis temporaire, si ce n’est le souvenir impérissable des splendeurs de la vallée.
Nous parvenons plus ou moins adroitement à communiquer en russe, bien qu’il s’agisse là de nos premières tirades ouraliennes (je m’applique à apprendre cette langue slave depuis plusieurs mois). Ces quelques mots nous permettent tant bien que mal de faire plus ample connaissance, et de vivre d’inoubliables instants de convivialité.
Peu après notre arrivée, Nouri nous emmène auprès de son troupeau de moutons et de chèvres. Il possède un cheptel relativement important, et semble remplir son rôle de berger à merveille. Dans ce décor enchanteur, je me verrais bien moi aussi paître une vie durant. Après avoir rassemblé le bétail dans un petit enclos, il vérifie consciencieusement la bonne santé de ses ovidés et soupèse les quelques bêtes les plus en chair. Il choisit l’une d’entre elles qu’il vendra le lendemain et l’achemine au plus près de sa yourte, à dos de canasson.
Pendant ce temps, Nourisa s’est occupée de la préparation du repas que nous dévorons à la nuit tombée. L’électricité faisant défaut, nous sortons d’un sac à dos une lampe de poche que nous ficelons au plafond tout en admirant nos deux compères, qui ont malgré tout su pourvoir leur foyer de confort et de chaleur. Nous rompons le pain, plongeons nos cuillères dans une poêle graissée par le temps où une demi-douzaine d’œufs vient de frire, et savourons le bonheur de partager ensemble cet inestimable moment.
Sous le regard d’un couple d’hirondelles – ayant élu domicile au beau milieu du plafond de la yourte – nous nous laissons gagner par un sommeil paisible et ressourçant. Les voilures de la tente nous permettent de gagner quelques précieux degrés : en altitude, les nuits sont bien souvent fraîches.
Au petit matin, nous rejoignons le plaisant tandem et partons à la rencontre de leurs quelques chevaux. Nouri se charge de rassembler les juments, tandis que Nourisia s’occupe d’en soustraire le lait. Un seau en équilibre sur le genou, elle tente de me confier les secrets de la traite : c’est visiblement loin d’être à ma portée ! J’essaie toutefois de m’y atteler quelques minutes, ce qui n’est pas sans amuser cette nomade aguerrie.
Enfin, après avoir découvert quelques étapes occultes de fabrication du kimiz et des kuruts, nous partageons un dernier repas de pommes de terre et mouton, puis arrive l’heure redoutée des adieux. Nous achetons en partant une poignée de billes fromagères, balbutions en russe quelques remerciements – maladroits mais sincères – et après une dernière accolade nous levons à nouveau le pouce, conscients que nous n’aurons peut-être plus jamais la chance de vivre dans une yourte, ne serait-ce qu’une nuit.
Nous n’oublierons jamais notre rencontre avec cette famille nomade kirghize, qui nous aura ouvert sa porte avec bienveillance et humanité. L’épisode extraordinaire que nous venons de traverser, la fraternité inattendue que nous avons reçue et la plénitude que nous avons ressentie, resterons gravés comme faisant partie des meilleurs souvenirs de notre aventure le long de l’itinéraire de la Route de la Soie.
Alors, la sensation du Paradis descend des cieux. Et j’ai conscience de vivre un moment inoubliable de ma vie – cette conscience que très souvent nous atteignons après que le moment magique est passé. Je suis là tout entier, sans passé, sans avenir, entièrement concentré sur cette matinée, sur la musique des pattes des chevaux, sur la douceur du vent qui caresse mon corps, sur la grâce inattendue de contempler le ciel, la terre et les hommes. J’entre dans une espèce d’adoration, d’extase, reconnaissant d’être en vie. Je prie à voix basse, j’écoute la voix de la nature, et je comprends que le monde invisible se manifeste toujours dans le monde visible.
Tiré de Le Zahir, un livre de Paolo Coelho
Faire de l’auto-stop au Kirghizistan :
Agréable surprise, il s’avère que l’auto-stop au Kirghizistan soit un véritable sport national ! Depuis le début de notre voyage, c’est bien la première fois que la pratique soit autant répandue localement, ce qui nous facilite grandement les choses. Attention toutefois, certaines caractéristiques sont à prendre en compte :
- L’argent : c’est la particularité la plus importante, puisque toutes les voitures font office de taxi à leurs heures perdues. Ainsi, les conducteurs attendront tous de votre part une contribution financière, soyez clairs dès le début du trajet si vous ne souhaitez pas avoir de mauvaise surprise, et ce pour vous comme pour eux !
- L’itinéraire et l’état des routes : s’il est très simple de faire de l’auto-stop au Kirghizistan, c’est aussi parce que les routes sont loin d’être nombreuses, et qui plus est en assez bon état. Vous ne risquez pas de vous perdre, et quel que soit votre programme vous suivrez probablement l’itinéraire assez classique menant de Och à Bichkek, ou de Bichkek à Karakol.
- Les grandes villes : enfin, après deux mois d’auto-stop en Chine à dépasser difficilement et des heures durant des paysages urbains sans fin, nous retrouvons avec joie des agglomérations à taille humaine. Au Kirghizistan, vous rencontrerez trois principales villes : Bichkek (la capitale) ainsi qu’Och et Jalal-Abad. Toutes possèdent des transports en commun permettant de les traverser facilement, rapidement et à moindre coût. Les autres villes sont quant à elles tout à fait franchissables à pied.
- La police : jusqu’à présent, nous n’avons rencontré aucun souci avec les autorités locales. Toutefois, il est arrivé à deux routiers de nous demander de nous cacher à certains moments du trajet, ce afin d’éviter de payer un bakchich lors des contrôles policiers.
- La communication : il peut être avantageux de connaître un peu de vocabulaire de base russe, puisque chaque Kirghize maîtrise cette langue, qui n’est d’ailleurs pas compliquée à prononcer. Vous expliquerez ainsi plus facilement les grandes lignes de votre projet de voyage, et ferez par la même occasion des rencontres plus enrichissantes.
- Le matériel : Pour vous lancer, pas besoin d’équipement spécifique. Cependant, pour faciliter votre aventure, n’hésitez pas à apporter avec vous un marqueur de qualité (voire une ardoise Velleda, pour écrire de jolis panneaux), un gilet jaune réfléchissant et une lampe de poche puissante (pour la nuit), un long chèche (pour traverser le désert ou contre le froid), une discrète sacoche de sécurité (pour ranger votre passeport et votre argent), une housse imperméable (pour votre sac, selon la saison), un chargeur portable (utile si vous utilisez beaucoup Maps Me) ainsi que l’indispensable livret G’Palémo (guide illustré permettant de vous faire comprendre aisément si vous ne parlez pas la langue).
- Spécificité : finalement, la plus grande difficulté que vous aurez à affronter si vous faites de l’auto-stop au Kirghizistan, c’est sans doute celle de devoir avaler quelques gobelets de lait de jument fermenté en cours de route. Tout au long des différentes nationales, des vendeurs de kimiz tenteront ainsi plus d’un conducteur, gare à vos estomacs !
- Autres ressources : pour plus d’informations, vous pouvez retrouver tous mes conseils relatifs à la pratique de l’auto-stop, ainsi que deux textes que j’affectionne tout particulièrement expliquant ma philosophie d’auto-stoppeuse et évoquant le danger de l’auto-stop.
Demain, nous poursuivrons notre aventure en auto-stop au Kirghizistan et prendrons la route de Bichkek, avant d’emprunter celle du lac Issyk Kul puis du lac Song Kul. En attendant de découvrir la suite de notre aventure, je vous invite à retrouver tous mes articles concernant notre voyage sur la Route de la Soie, ainsi que mes plus belles photos du Kirghizistan.
Enfin, si vous vous trouvez actuellement en Asie Centrale, n’hésitez pas à nous contacter afin de parcourir un bout de chemin ensemble !
Bonjour à vous et merci pour ce précieux témoignage.
Nous comptons faire un peu de stop en fin d’été au Kirghistan.
Quelques questions :
– où dormiez vous ?
– combien de km parcouriez vous en moyenne ?
Mercii
Bonjour Charlotte et merci pour votre message. Je dormais soit sous ma tente, soit dans des yourtes chez les gens, soit en auberge de jeunesse à Bishkek. Pas de moyenne à vous donner car je suis restée 40j et c’est un petit pays, parfois je parcourais 50km, parfois 200km, tout dépendait de l’endroit où je voulais aller mais je n’ai jamais eu de souci pour me déplacer sur le pouce ! Apprendre quelques mots de russe peut vous aider. Bon voyage à vous !
Ton trip est juste incroyable ! Je prévois un voyage de Chine à France, départ dans 3 mois, et toutes tes écris m aident vraiment beaucoup ! Merci !!
Coucou et merci pour ton commentaire, ça me fait plaisir à lire ! Alors je te souhaite bonne route, et prends soin de toi 🙂
Chere Astrid,
En te lisant, on voit les sourires des nomades, on goute le lait de jument, on sent le soleil implacable et la fraicheur de l eau turquoise. Merci pour toutes ses sensations que tu exprimes.
Je pars en Inde le 15 septembre. Je vais consulter ton blog…
Chaleureusement.
Michele
Bonjour Michèle ! Merci pour votre message, c’est gentil ! Je vous souhaite de vivre une magnifique aventure en Inde, pays fascinant, loin d’être de tout repos mais où les rencontres sont bien souvent précieuses. Malheureusement je n’ai jamais pris le temps de mettre par écrit mon expérience indienne, mais je suis certaine que vous trouverez sur d’autres blogs plein d’infos ! Encore une fois bon voyage à vous, profitez bien de cette nouvelle aventure qui sera probablement bien différente des autres, et prenez soin de vous ! Au plaisir 😉
Encore une fois, mais multiplié par dix ; j’aurais aimé être à votre place ou plutôt à vos côtés. Un très beau récit. Bises
Merci ! Nous aurions aimé que tu puisses être avec nous également ! Une prochaine fois ? Bises^^
Comme de bien entendu depuis que je vous suis, je me laisse emporter par le récit. Merci de nous transmettre vos impressions, votre facilité d’écriture nous emporte dans ce monde inconnu fait de rêverie et d’imaginaire, on voyage à vos côtés délaissant quelques instants nos préoccupations journalières. Vivement la suite!
Bonjour et merci pour ce nouveau commentaire qui me fait très plaisir à lire ! Je suis heureuse de vous permettre de voyage de brefs instants à mes côtés, et également ravie que mes textes vous plaisent. Quant à ma facilité d’écriture, pour être tout à fait honnête, il me faut entre 7 et 10 heures pour rédiger un article tel que celui-ci : des progrès à faire donc, mais je m’y attelle ! Bonne fin de journée à vous, et au plaisir 🙂
quel récit merveilleux et quel bonheur
je suis heureux pour vous
profitez au max
bises
Merci ! Gros bisous de nous deux