Lorsque l’on évoque le désert de Gobi, on pense immédiatement aux dunes de sable doré, que l’on souhaiterait fouler pieds nus. Autant vous le dire tout de suite, ce n’est pas ce que vous lirez en parcourant cet article. Nous aurions pu louer un 4×4 et les services d’un accompagnateur local, afin de nous perdre dans ces espaces tout tracés, vivre une aventure sur mesure hautement balisée, et tenter de croire un court instant à une authenticité que l’on nous aurait facturée.
D’ailleurs, pour être tout à fait honnête et ne rien vous cacher, j’aurais sans doute largement apprécié. Lors de mon second voyage dans le Sahara mauritanien, j’avais eu la chance de bivouaquer une semaine dans de petites oasis en compagnie d’un guide, qui connaissait sur le bout des doigts ces pistes inscrites dans le sable, invisibles pour tout touriste étranger. J’en garde aujourd’hui encore un souvenir ineffaçable.
Cette fois, il en fut pourtant autrement. Notre budget restreint et une forte envie de sortir des sentiers battus l’ont emporté sur ces images de cartes postales, que nous avions malgré nous en tête. Finalement, hormis la chaleur étouffante, notre traversée du désert de Gobi en stop s’est révélée parfaite, ou presque…
Shikon, porte du désert de Gobi :
Nous quittons Xi’An, impatients de rejoindre le désert de Gobi, ce vieux rêve d’enfant… Nous nous voyons déjà camper sur les crêtes soyeuses d’un grain pur, après avoir admiré de fabuleux couchers de soleil sur les dunes topazes. Ainsi, nous abandonnons derrière nous toute civilisation et fonçons têtes baissées dans les bras de cette aridité sans fin. Après seulement quelques dizaines de kilomètres, nous avons l’impression d’être entrés dans un nouveau pays : nous sommes en Chine musulmane, du moins en partie. Les mosquées ont peu à peu supplanté les temples bouddhistes, les fumets de mouton grillé ont remplacé ceux des raviolis au porc, les couvre-chefs ont fleuri chez les femmes comme chez les hommes. Du bon pain commence aussi à faire son apparition, ce qui est loin de nous déplaire. Enfin, les villes sont désormais à taille humaine : finies les mégapoles infranchissables en auto-stop.
Dès les premières heures de notre longue route, nous tombons sur un tronçon abandonné de la Grande Muraille de Chine. Sans hésiter, nous courons faire une séance photo et mitraillons ce rempart indestructible de nos objectifs. Pas peu fiers du résultat, nous rencontrons un homme nous expliquant alors qu’il ne s’agit que d’un long mur parmi d’autres, rien à voir avec la légendaire Muraille. Flop total, heureux souvenir.
En arrivant à Shikong, le chauffeur routier qui nous conduit nous prévient : à partir d’ici nous pénétrons dans le désert de Gobi, et gare à ceux qui s’égarent trop loin de la route. Nous acquiesçons, le remercions et filons. Très vite, nous apercevons les premières dunes de sable qui, imposantes, ne manquent pas de nous faire esquisser un sourire ému.
Nous poursuivons notre chemin et grimpons dans un quarante tonnes qui emprunte une courte portion d’autoroute. Le ciel est alors encombré et, à une vitesse de près de 100km/h, le chauffeur lâche son volant à plusieurs reprises : il désire immortaliser à l’aide de son smartphone un moment fort de notre virée commune, soit un nuage lapin. La suite du périple sera toutefois sans grand danger. Nous quittons le confort du grand axe pour je ne sais quelle raison et voyageons désormais sur la nationale G312, parallèle à l’autoroute – accessoirement toujours en travaux. Nous effectuons quelques pointes à 15km/h, qui nous décoifferaient presque… Plusieurs centaines de kilomètres chaotiques nous font ainsi changer de position constamment : tantôt assis sur une fesse, tantôt sur l’autre, nous encaissons patiemment les secousses.
Après avoir dormi dans des champs de blé et de maïs me rappelant ma tendre Beauce, nous faisons une seconde halte d’une nuit dans une station-service afin de profiter des commodités. Il y a fort longtemps, les voyageurs et leurs chameaux se reposaient dans les caravansérails. De nos jours, les backpackers en mal d’aventure séjournent dans les aires de repos, et se connectent au wifi au beau milieu du désert.
Dans cette station désolée et lugubre, le personnel est aux petits soins avec nous. En l’espace de quelques minutes, nous sympathisons avec les quelques employés, du balayeur au grand patron. On nous sourit, on nous fait fumer quelques Phoenix – qui sait-on jamais nous feront peut-être renaître de nos cendres – et surtout on nous invite à passer la nuit à l’abri d’un violent orage, qui pointe farouchement son nez. Dès les premières bourrasques de vent, alors que nous nous apprêtions à planter la tente, un homme vient nous chercher et nous remet les clefs d’une chambre de l’unique hôtel du complexe autoroutier, encore fermé au public. La tempête éclate, nous esquivons de justesse la colère des cieux. Une fois de plus, nous nous sentons chanceux d’avoir été récupérés en bord de route par un homme au grand cœur. Le lendemain, après avoir copieusement honoré une invitation à déjeuner avec les cadres de la station-service, nous atteignons péniblement Zhangye Danxia et ses célèbres montagnes arc-en-ciel.
Jiayuguan, la cité rempart :
Nous poursuivons notre aventure le long de la Route de la Soie, et après avoir campé près des roches multicolores de Zhangye, nous nous remettons à faire du stop. Même au milieu de nulle part, trois chinois s’arrêtent pour nous prendre en photo : nous nous habituons à jouer les superstars et savons déjà que le retour à l’anonymat sera brutal, quoique…
Aidés de puissants 4×4 et de quelques semi-remorques désespérément lents, nous parvenons à grignoter quelques centaines de kilomètres de plus sur le désert de Gobi. Les ambiances défilent à mesure que nous changeons d’habitacle. Le plus souvent, nous sommes acheminés par de plaisants routiers qui, bons princes, nous offrent cigarette sur cigarette. Les camions chinois : d’ambulants aquariums. Crachant nos poumons, nous atteignons Jiayuguan et pour une fois nous décidons de ne pas manquer les quelques attractions touristiques. La Grande Muraille de Chine se trouve à deux pas (la vraie cette fois), il aurait tout de même été dommage de louper la visite !
Nous débutons notre promenade dans Jiayuguan par le fort, plutôt agréable et bien rénové, qui offre une jolie vue sur les montagnes des environs. Nous nous rendons ensuite à la Grande Muraille, qui n’a ici de grande que le nom. Cette portion du mur est loin d’égaler sa rivale se trouvant près de Beijing : nous essuyons une petite déception. Tant pis, nous aurons tout de même eu le privilège de déambuler sur les pierres de cette frontière légendaire, qui fut d’ailleurs une étape importante de l’ancien itinéraire de la Route de la Soie. Il y a près de 700 ans, sous le règne de la dynastie Ming, fort et mur furent construits afin de protéger l’Empire du Milieu des invasions barbares. Aujourd’hui, si ces derniers ont déserté les parages, les touristes ne manquent pas à l’appel et c’est dans la cohue générale que l’on peut encore visiter les lieux.
Dunhuang, entre dunes et déconvenues :
Il est enfin temps pour nous de goûter aux plaisirs du profond désert, celui que l’on imagine inviolé depuis des millénaires. Une infranchissable plage sans nappe, resplendissante sous un soleil brûlant. Si la chaleur est bien au rendez-vous, nous restons un peu sur notre faim. Après 250km de poussière, de caillasse sur une piste sordide et sinistre, nous arrivons tardivement à Dunhuang.
Nous décidons de marcher en direction de l’erg et espérons en atteindre les multiples sommets. Le souci, c’est qu’un aéroport nous barre la route, nous obligeant à effectuer plusieurs heures de marche pour le contourner. Bien que voyager léger soit devenu une priorité, nous nous épuisons sans pour autant gagner de terrain, et ne voulant emprunter les navettes touristiques menant au site balisé nous finissons par abandonner.
Ce soir, nous ne dormirons pas sur ces dunes qui fières, impassibles et immuables, s’élèvent vers le ciel à seulement une dizaine de kilomètres de nous. Pourtant, près des tombes d’un cimetière sans âge qui veille sur les âmes d’un peuple invincible, nous montons la tente, sereins. Sous un léger vent du soir, nous laissons le soleil empourprer les dernières heures du jour, et contemplons à distance ces collines ambrées que nous ne gagnerons jamais.
Les rêves de découvertes se multiplient à mesure que se déroule tout grand voyage. Il faudrait plusieurs vies pour n’en réaliser qu’une partie, cochant fièrement un à un sur une liste ces séduisants accomplissements. Je dois bien reconnaître que j’ai tout d’abord été déçue de ne pouvoir bivouaquer entre deux dunes, comme j’avais pu le faire dans le désert du Sahara ou celui du Namib. Pourtant, après une bonne nuit de repos et de réflexion, je me suis dit qu’il en valait peut-être mieux ainsi. Nous avons touché du bout des doigts les reliefs du désert de Gobi, sans pour autant y accéder : je conserverai précieusement ce rêve inachevé en mon cœur, tout en gardant en mémoire le souvenir de ces quelques heures passées avec José, refaisant une fois de plus le monde le temps d’une soirée. Il existe des moments qui n’ont pas de prix : dans ce campement coupé du reste, sous cette lune lumineuse et dans ce vent apaisant, cette nuit est l’un d’entre eux.
Le bivouac est un luxe qui rend difficilement supportables, plus tard, les nuits dans les palaces.
Sylvain Tesson, Sur les chemins noirs
Turfan et sa chaleur infernale :
Après une grasse matinée inattendue (il doit faire, sans exagérer de trop, plus de 1000°C dans la tente dès que le soleil apparaît), nous reprenons le cours de notre road trip. Une poignée de conducteurs de l’extrême nous véhiculent lentement à travers le néant. Le bitume fond, collant aux semelles de mes tongs et redécorant le short de José, assis trop près du bord de route. Nos épidermes craquèlent, nos lèvres éclatent, nos yeux se brident sous l’éclat maléfique des rayons solaires. Nous rôtissons délicieusement.
Nous croisons le premier caravansérail de notre long itinéraire, mais sommes obligés de l’admirer de l’extérieur : comme partout en Chine, la visite est payante et surtout hors de prix. Qu’importe, depuis la station-service située juste en face, la simple vue de ces pierres marquées par l’Histoire nous redonne un peu de baume au cœur, tandis que nous picorons quelques graines de tournesol.
Par chance, nous parvenons à renouer avec l’autoroute G30, sur laquelle nous volons désormais à toute allure, on ne peut plus vers l’Ouest. Les paysages se métamorphosent à une vitesse incroyable : dunes dorées, massifs montagneux enneigés, collines rocheuses d’un noir ébène.
Nous dormons une nuit de plus sur l’autoroute, vers Xingxingxia et, une fois n’est pas coutume, le personnel se coupe en quatre pour nous accueillir avec le plus grand soin. Nous profitons de cette pause pour nous rafraîchir comme nous le pouvons dans les sanitaires, enlever le sable accumulé dans nos sacs à dos, laver un ou deux sous-vêtements et – ultime besoin vital – nous connecter sur les réseaux sociaux afin d’avoir des nouvelles de Floppie et Arum, nos chien et chat respectifs.
Enfin de soirée, nous décidons de planter la tente un peu en retrait, afin de ne pas entendre le vacarme des moteurs et klaxons à longueur de nuit. De nouveau, nous repensons aux caravanes qui effectuaient ce même trajet menant à Antioche, deux siècles avant Jésus Christ, tandis que José et moi écumons entre deux camions les Petro China, U Smile et Sino Pec, où nous rechargeons nos réserves d’eau et becquetons des crackers bon marché. À chacun son époque, à chacun son style, à chacun sa monture. Le mythe de l’ancienne Route de la Soie n’est plus, il faut bien nous rendre à l’évidence. De gigantesques pylônes électriques ont fleuri sur un millier de kilomètres, un chemin de fer jouxte désormais trois voies asphaltées, et un ballet de bétonneuses s’agite sans cesse face au calme perpétuel du désert de Gobi. Pour autant, nous savourons ce périple comme s’il s’agissait de notre premier voyage. Ici, tous les repères diffèrent de ceux que nous connaissions, nous avançons chaque jour avides d’en découvrir plus et nous sommes dès à présent reconnaissants pour tout ce chemin déjà parcouru : de quoi pourrions-nous nous plaindre ?
Nous gagnons ensuite la bouillante Turfan, ville la plus chaude de Chine. Le jour s’achève et alors que l’obscurité tombe, nous comptons les degrés qui ne se dissipent pas : il fait encore et toujours 47°C, nous sommes littéralement assommés par la touffeur de ce bassin.
Écrasés par cette fournaise nous desséchant corps et âmes, nous sortons en ville uniquement pour dîner. Le repas sera aussi foudroyant que le reste : plus que jamais, le cuisiner a eu la main lourde sur le piment. C’est suant à grosses gouttes et essuyant quelques larmes dissimulées que nous reposons nos baguettes dans nos deux plats de nouilles sautées. Durant cette courte halte, le feu de Turfan aura brûlé nos peaux comme nos intestins : une rencontre passionnée en somme.
José connaît d’ailleurs les joies de l’insolation. Nous décidons par conséquent de faire une petite pause dans notre traversée de la Chine en auto-stop : nous effectuons les 200km suivants en train, afin de ne pas souffrir sous le soleil du désert de Gobi plus longtemps. Nous passons les portes d’Ürümqi, entrons en pays Ouïghour, et franchissons une nouvelle étape dans notre aventure mais ça, je vous le raconterai plus tard…
Visiter le désert de Gobi en Chine :
Le désert de Gobi se situe au Nord de la Chine et au Sud de la Mongolie, il s’agit de l’un des plus grands déserts au monde. S’il est surtout composé de pierres et non de sable, l’itinéraire touristique classique vous conduira sans doute à Dunhuang, où vous pourrez admirer d’imposantes dunes orangées. Sachez toutefois que :
- Il fait extrêmement chaud durant la journée, et plutôt froid la nuit ;
- Le camping sauvage est officiellement interdit en Chine ;
- S’aventurer en dehors des circuits prévus à cet effet est dangereux, des touristes décèdent ainsi chaque année ;
- De plus, des drones surveillent parfois les resquilleurs tentant d’entrer dans les sites payants sans ticket ;
- Enfin, il va de soi qu’emporter avec vous suffisamment d’eau potable est une nécessité vitale.
Pour aller plus loin, je vous invite à retrouver l’essentiel de mon aventure le long de la Route de la Soie, l’intégralité de mes récits de voyage, les meilleures photos de mon voyage en Chine, et tous mes articles relatant mon tour du monde !
Enfin, si vous vous trouvez prochainement dans le Xinjiang et les Monts Célestes, contactez-nous : nous sommes toujours heureux de rencontrer d’autres voyageurs…
quel délicieux récit …
content de te savoir sortie de cette rôtissoire !
bonne route vers de nouvelles découvertes
grosses bises
Merci! Gros bisous
Bonjour ou bonsoir pour vous,
Je viens de lire votre carnet de route toujours avec avidité pour la suite de vos aventures. Quel tempérament de feu!
Je n’ose imaginer le supplice de la chaleur s’ajoutant au tracé sec et poussiéreux et je compatis à cette torpeur qui envahit le corps et où les gestes sont autant d’efforts à fournir. J’ose espérer que les nuits vous permettent de récupérer sans pour autant avoir douche et savon pour s’hydrater. Effectivement l’eau a une grande importance dans ce périple car c’est votre survie. Merci cependant de prendre le temps d’écriture durant cette route faite de surprises de découvertes et d’aventures. Prenez garde à vous et prenez soin de vous. Au plaisir de suivre la suite de cette « route de la soie ». Je vous adresse un peu de fraicheur orageuse de votre France qui subit le chaud et le froid depuis bientôt un mois… Nadine.
Bonjour Nadine! Merci pour votre message et vos encouragements, cela me fait chaud au cœur! Effectivement il existe des moments plus compliqués sur la route, mais croyez-moi le jeu en vaut la chandelle. Et de temps à autres je fais halte dans de petites auberges de jeunesse, ce qui me permet tout de même de me rafraîchir un peu et de rédiger de nouveaux articles ! J’ai cru comprendre qu’il faisait également extrêmement chaud en France, alors je vous souhaite aussi bon courage 🙂 Au plaisir