D’ici peu, je vais célébrer mes trois ans de tour du monde. Depuis ma décision, en 2013, de vivre autrement, c’est tout un quotidien qui semble s’être installé pour moi, comme une évidence. Une nouvelle routine, aux antipodes de ma vie d’avant, qui se fige peu à peu…
La vie d’avant :
J’ai travaillé de nombreuses années, et je me suis mariée jeune. J’avais alors une vie très classique, qui me convenait plutôt bien, bien que j’ai toujours ressenti l’envie de partir loin. Toutefois, avant même de fêter mes trente ans, trois choses ne collaient pas avec mes rêves d’enfant :
- Faire la boniche à la maison le matin,
- Faire la boniche à la maison l’après-midi,
- Et faire la boniche à la maison le soir.
Le pire était toutefois que j’entretenais le foyer de mon plein gré, pensant enjoliver mon quotidien au fur et à mesure que je mettais de l’ordre dans mon appartement. Nettoyer, dépoussiérer, lessiver, cuisiner, faire la vaisselle : voici les activités qui régentaient alors la grande majorité de mon temps libre, sans même que je ne m’en aperçoive. C’était normal.
Un beau jour, l’histoire d’amour s’effondre, emportant avec elle ce rêve ordinaire de vie bien rangée. À contre-cœur, je quitte mon emploi qui pourtant me passionnait, et je me lance dans la réalisation du projet de ma vie : faire le tour du monde. Je veux vivre autrement et rêve d’aventure, de rencontres, de paysages et de liberté.
Mes débuts sur la route :
Je parviens tant bien que mal à épargner quelques sous, et je décolle pour New York. Me voilà projetée sous les feux de la grosse pomme. J’apprends laborieusement à parler anglais, puis je passe l’hiver avec des chiens de traîneau au Québec. Je traverse une grande partie de l’Amérique du Sud en stop puis de l’Asie du Sud-Est. Je m’envole vers Afrique, j’y vis des aventures toutes plus folles les unes que les autres, et j’en profite pour retomber amoureuse. J’atterris un peu par hasard à Istanbul et je rentre à Orléans en stop pour les fêtes de fin d’année.
Ça y est, mon rêve se termine, laissant place à une immense page blanche que je ne sais remplir. C’est sans doute cela, le plus difficile à accepter : ne plus avoir de grand projet à réaliser devant moi. La nostalgie est trop forte et malgré la violence qu’impose la vie sur la route, cette dernière m’est devenue indispensable.
Alors, après quelques jours de repos, je me raccroche à ce qui m’anime depuis toujours : être sur la route. Mon désir de vivre autrement n’était pas qu’une passade, et je repars en stop jusqu’à Nouakchott en Mauritanie, retrouver ma seconde famille. Je passe ensuite l’été en Scandinavie, et comme mes économies s’épuisent, je commence de plus en plus à voyager sans argent, notamment en Norvège.
La vie en van aménagé :
Quelques semaines plus tard, je décide de poursuivre mon aventure au volant d’un van : c’est le début d’une nouvelle vie. Je teste mon véhicule en Espagne puis au Royaume-Uni, et comme il tient la route je le conduis jusqu’à Odessa, en Ukraine. Avec José, compagnon de voyage de choc, nous traversons des pays méconnus et hallucinons du matin au soir, notamment en Albanie et en Transnistrie. Toutefois, entretenir une relation à distance commence à peser lourd dans la balance, et je décide de mettre fin à ce road trip et de partir vivre en Suède, à Malmö.
J’y vis convenablement grâce au glanage alimentaire, et je joue de l’accordéon afin de m’acheter quelques extras. Je profite aussi d’avoir un peu de temps libre pour travailler sur mon blog, et tenter de le monétiser à hauteur des frais de déplacement que je prévois d’effectuer prochainement avec mon van.
C’est donc à cela que ressemblent trois ans de voyage : un retour impossible à la case-départ, un amour pour la route chaque jour décuplé, des rêves d’horizons lointains qui, au lieu de s’évanouir au fil des kilomètres, se multiplient.
À Malmö, au dessus de mon lit se trouve une mappemonde. Une grande mappemonde. Mais comme celle-ci ne suffisait pas à canaliser mes désirs de découvertes, j’y ai apposé une seconde carte, dessinant avec précision ces mystérieuses frontières. De quoi alimenter mes nuits d’insomnie lorsque le bitume me manque et que l’envie de prendre la route est trop forte. D’ailleurs, à deux, nos folies s’entremêlent. Mes idées les plus irréalisables se mélangent aux siennes les plus inaccessibles. Nos seules questions : dans quel ordre allons-nous accomplir tous ces projets ; et le temps d’une vie nous sera-t-il suffisant ?
Vivre autrement, et après ?
Lorsque l’on me demande ce que je deviens, j’explique que je voyage. Les réactions sont toujours identiques. Ai-je peur ? Quand vais-je m’arrêter ? Vivre autrement, pourquoi pas quelques temps, mais que vais-je faire après ? Quelle fortune cela me coûte-t-il ? Et ne devrais-je pas culpabiliser d’avoir la belle vie ? Je parle de tout cela très longuement dans l’un de mes précédents articles, je ne vais donc pas revenir sur tous ces points. Toutefois, trois ans sur la route n’est pas comparable à trois ans de vacances, à moins d’avoir gagné au loto. Je mène une vie d’aventures certes, mais il s’agit surtout de débrouille et de sacrifices. D’ailleurs, c’est sûrement ce qui est le plus excitant. Je considère – contrairement à nombre de mes pairs nomades qui n’estiment pas être mieux lotis que d’autres sur la planète – que j’ai une chance incroyable de voyager ainsi autour du monde. Pourtant, et comme toute chose, il y a un prix à payer. Cette liberté, c’est cette distance avec mes proches qui s’allonge au fil des années. C’est ce manque de confort permanent qui me pèse lors des mauvais jours. Et surtout, c’est cette insécurité psychologique constante quant à un éventuel retour à un quotidien plus classique – métro, boulot, dodo – qu’il faut accepter.
Il n’est rien de plus noble que de s’accommoder de quelques désagréments comme les serpents et la poussière pour jouir d’une liberté absolue.
Jack Kerouac, Le vagabond américain en voie de disparition
Je me dis souvent que si j’avais touché le jackpot en grattant un ticket de loterie, je serais passée à côté de tous ces moments qui rendent mon aventure si belle. Si j’avais gagné au loto, j’aurais par exemple dormi dans l’un des plus beaux hôtels des abords du lac de Bracciano. J’aurais ensuite sûrement pris le train et mangé, seule, un sandwich cellophané dans le wagon-restaurant. Et puis je me serais présentée aux premiers guichets maritimes et aurais embarquée en toute facilité sur de gros ferries, blasée et traînant dans ma valise le poids abrutissant de ma lassitude.
Je n’aurais alors pas goûté au pain maison de Xavier, fruit du glanage alimentaire et cuit dans un four fabriqué par ses soins, dans notre douillet squat de Bracciano. Je n’aurais pas été émue par ces chauffeurs routiers au grand cœur qui ont partagé leurs déjeuners et m’ont sauvée du froid à de nombreuses reprises. Je n’aurais pas non plus tressailli de joie et d’émotion en franchissant le Zambèze, l’Adriatique et le détroit de Gibraltar en bateau-stop.
Je n’aurais pas réalisé que mon rêve le plus cher n’était pas de parcourir le monde, mais de plonger tête la première dans un tourbillon d’aventures, me distribuant une bonne dose de claques, mais me rendant chaque jour plus vivante. Et à cette fin, quel pourrait être meilleur terrain que les routes du monde, des plus rectilignes au plus sinueuses, des plus légendaires aux plus méconnues, des plus spectaculaires aux plus maudites ?
Enfin, si vous souhaitez également vivre autrement, n’hésitez pas à retrouver la philosophie de ma vie nomade, ainsi que l’intégralité de mes articles sur l’auto-stop et tous mes récits de voyage ! De même, un an après avoir rédigé cet article, j’ai dressé le bilan de mes quatre ans de vie sur la route : tout quitter pour changer de vie. Je vous invite à y jeter un œil !
t’inquiète ‘
ce fut un beau roman, et comme tu l’écris bien
Jack Kerouac a bien raison !
RV pour un nouveau départ
Merci 🙂 Gros bisous
Salut astrid, c’est toujours un plaisir de te lire. Ton expérience est inspirante et tu le dis justement le voyage a aussi un prix. L’important est de pouvoir trouver son équilibre. La mappemonde est aussi accrochée chez moi et j’espère très bientôt repartir pour un voyage au long court sans date de retour. Je te souhaite le meilleur.
Laura
Coucou Laura, merci bien pour ton message! Haha je vois que ton chez-toi ressemble au mien, j’imagine qu’on est beaucoup dans ce cas 🙂 Je te souhaite de réaliser ton nouveau projet de voyage, et te dis au plaisir de te croiser un jour quelque part!
Très beau bilan, je te souhaite encore de belle aventures, et je te lirai encore avec plaisir. Je suis d’accord avec ton topo sur le Jackpot, ça peut se décliner à l’infini… Bonne soirée.
Salut Perrine! Je te souhaite également de belles aventures du Nord au Sud et d’Est en Ouest 🙂 Merci pour ton message, et au plaisir de te croiser un jour sur les routes du monde!
Un bel article ! j’ai hâte que tu parles de la Suède aussi et de cette nouvelle expérience. Dommage que tu ne sois pas venue e Hongrie, je t’aurais ouvert ma porte, ce sera pour la prochaine fois ! 🙂
Coucou Kenza! Comment vas-tu? J’espère que tu as la forme! Oui je sais, en fait j’ai traversé la Hongrie en montant en Suède, mais comme je l’explique dans mon article sur mon expatriation-éclair je ne me suis pas arrêtée! Mais bon, tu habites au centre de l’Europe, forcément ça sera sur ma route un jour ou l’autre 🙂 En tout cas merci pour l’invitation, prends soin de toi et bonne continuation 🙂
Ton écriture est belle et exprime à merveille ta réalité et tes pensées! Je suis une grande fan! Je me retrouve dans ton besoin d’aventure! Je vis depuis 14 ans une vie de voyages, de déménagements plus ou moins lointains et d’imprévus et je te confirme que la passion de l’aventure s’alimente avec le temps! Elle prend parfois des formes différentes mais elle est toujours là! Imaginer devoir revenir à une vie « normale » sédentaire me fait peur! Je serais complètement inadaptée maintenant! Je construis ma vie professionnelle en tant qu’indépendante nomade pour ne jamais être obligée de renoncer à cette vie que j’aime! Je te souhaite de trouver une manière de pérenniser ton choix de vie et je suis sûre que tu y arriveras! On a la chance inouïe de pouvoir choisir notre vie! Bonne route!
Bonjour Nathalie,
Merci pour tes quelques lignes qui me touchent beaucoup. Wow, 14 ans de voyages, ce n’est pas rien! Quelle aventure j’imagine! C’est plus récent pour ma part, mais je te comprends tout à fait lorsque tu évoques cette « peur » de revenir à une vie plus classique. Au plaisir de discuter plus longuement avec toi du nomadisme, et bonne continuation 🙂
Ca me fait un bien fou de lire ça !!
Le 1er juillet, je vais fêter mon tout premier anniversaire de voyage ! J’ai traversé la terre du Nord de la Norvège jusqu’au sud de l’Argentine. Comme toi, je regarde le carte du monde avec des étoiles plein les yeux et, comme toi, je me dis que je serais passé à coté de l’essentiel si j’avais réalisé tout ça avec des millions de dollars dans mon backpack !
Bref, plus que de raconter ma vie, ce que je veux dire c’est que je comprend ce que tu vis et que je ne doute pas une seconde que tu continues encore longtemps. Skully et moi, en tout cas, on est pas près de s’arrêter !
Allez, bon vent !
Salut Seb! Comment vas-tu? Alors, toujours en Amérique du Sud? J’espère que tout se passe bien pour toi 🙂 Merci pour ton commentaire, c’est super gentil de ta part de prendre le temps de m’écrire ces quelques lignes! En avance, je te souhaite un joyeux premier anniversaire de voyage^^ Et à l’occasion, je serai ravie de te recroiser sur ma route! D’ici là, prends soin de toi, et profite à fond! Bises
Quelle écriture!!! Merci pour le partage de ton parcours extraordinaire. Et pour ce style très agréable a lire plein d’émotions et de poésie. Bon vent a toi sur les routes du monde
Coucou Estelle! Merci pour tes gentils mots, ils me vont droit au cœur! Bon vent à toi également 🙂
Quel beau texte !!! Pleins de vérité qui me plaisent malgré mon immobilisme et mon sentiment de spectatrice dans ce monde. Merci Astrid pour ce magnifique voyage que tu m’offres à chaque article. Prends soin de toi. Bises
Salut Maryse! Hé bien merci merci^^ Je te souhaite un bon week-end, et au passage merci de suivre mes aventures si régulièrement, cela m’apporte beaucoup de soutien! Prends soin de toi également, gros bisous 🙂